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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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7 avril 2019 7 07 /04 /avril /2019 16:52

A plus d'un titre...

 

D'abord, contre la maladie qui frappe l'un d'entre nous et explique notre silence de plusieurs mois ; mais nous nous battons contre elle avec la même énergie que dans nos autres engagements, soutenus par la force de notre amour et de nombreux amis et amies que nous remercions ici chaleureusement.

 

Mais aussi et toujours contre le réductionnisme biomédical, qui continue de miser sur la découverte de la pilule miracle qui guérirait de "l'Alzheimer"*, de plaider pour des mécanismes déclencheurs moléculaires qui seraient bien définis et, ce faisant, de négliger la multiplicité des processus et facteurs qui peuvent infléchir le vieillissement cognitif et cérébral.

 

Cette résistance se retrouvera demain dans un article paru conjointement dans deux quotidiens lémaniques, la "Tribune de Genève" et "24 Heures" (texte intégral disponible en fin de chronique) ; il est publié consécutivement à la prise de position de quinze institutions suisses (dont le centre de la mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, le centre Leenards de la mémoire au Centre hospitalier universitaire vaudois et l'Association Alzheimer [lien], texte disponible en fin de chronique), qui défendent le traitement médicamenteux de la maladie d'Alzheimer.

 

Cet article de la journaliste Aurélie Toninato présente l'opposition entre ce modèle réductionniste, défendu par une partie du monde médical, et notre position : une position qui prend en compte la complexité des mécanismes neurobiologiques associés au vieillissement cérébral et cognitif problématique, ainsi que les nombreux facteurs de risque et de protection génétiques, psychologiques, environnementaux, en lien avec l'éducation, le style de vie, etc.

 

S’il nous paraît important que la recherche neurobiologique dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif prenne davantage en compte son caractère plurifactoriel et pluri-mécanismes, ainsi que son importante hétérogénéité, en abandonnant l’illusion du « médicament miracle », nous plaidons aussi pour que l’essentiel des ressources financières ne soient pas consacrées majoritairement à l’exploration de dysfonctionnements affectant des « systèmes neurobiologiques complexes », voire au développement d’une « médecine et pharmacologie de précision », dont les succès à court ou moyen terme sont assez imprévisibles (voir notre chronique « Quand des "expert.e.s en maladie d'Alzheimer" s'obstinent à nier la réalité »).

Car, au-delà des perspectives de recherche, les besoins actuels sur le terrain, pour la qualité de vie des personnes affectées et leurs proches, sont déjà énormes ! Il est indispensable d’allouer ici et maintenant des moyens plus importants pour mettre en place :

- des actions communautaires favorisant l’engagement des personnes présentant une « démence » au sein même de la société, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant ;

- des interventions psychologiques et psychosociales individualisées et focalisées sur les difficultés quotidiennes et la souffrance psychologique de ces personnes, ainsi que celles de leurs proches ;

- des interventions de prévention focalisées sur des facteurs intervenant tout au long de la vie et dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques des difficultés.

- des structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Ce qui suppose aussi l’installation d’équipes multi- et surtout interdisciplinaires, intervenant de manière concertée et coordonnée.

 

Il importe également d’œuvrer à un changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme, en passant d’une approche centrée sur la sécurité, les questions médicales et l’uniformité à une approche davantage centrée sur la personne (ses aspirations, sa qualité de vie) et sur ses liens avec la société.

 

 

Une nouvelle chronique suivra prochainement ; pour l'heure, nous sommes très heureux de vous retrouver dans ces colonnes et de célébrer avec vous les 9 ans d'existence de ce blog !

 

Article paru dans le journal "24 Heures" et la "Tribune de Genève" du 8 avril 2019.
Article paru dans le journal "24 Heures" et la "Tribune de Genève" du 8 avril 2019.

Article paru dans le journal "24 Heures" et la "Tribune de Genève" du 8 avril 2019.

Article présentant le débat

Prise de position des institutions défendant les traitements médicamenteux

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17 mars 2018 6 17 /03 /mars /2018 21:27

Résumé

Au début de l’année 2018, deux études ont une fois encore rapporté les résultats négatifs d’importants essais de traitement pharmacologique de la « maladie d’Alzheimer ». Au même moment, le groupe pharmaceutique américain Pfizer annonçait qu’il renonçait à chercher de nouveaux médicaments contre les « maladies d’Alzheimer et de Parkinson ». Durant ces 15 dernières années, 400 essais cliniques visant des traitements médicamenteux de la « maladie d’Alzheimer » ont été enregistrés, avec un taux d’échec avoisinant les 100 % !

Pourtant, on continue à propager l’idée selon laquelle il existe des traitements médicamenteux efficaces et que de nouveaux traitements sont en voie d’être identifiés. Il y a cependant de plus en plus d’éléments amenant à considérer que l’approche consistant à rechercher le traitement « miracle » qui permettrait de traiter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » avec une même molécule est totalement illusoire, du fait de la  complexité et de l’hétérogénéité de cette « maladie » (ainsi que des autres « maladies neurodégénératives »).

Des recherches récentes indiquent bien que les personnes âgées présentant des manifestations neuropathologiques considérées comme typiques de la « maladie d’Alzheimer » montrent également, de façon fréquente, des pathologies cérébrovasculaires et d’autres lésions neuropathologiques. Ces multiples neuropathologies sont aussi présentes chez des personnes âgées avec des troubles cognitifs légers et même chez des personnes âgées sans trouble cognitif. Par ailleurs, il a également été observé une grande variabilité dans l’impact de chaque neuropathologie sur le déclin cognitif : selon les individus, une même cause ne produit pas les mêmes effets.

De fait, tout traitement ciblant une manifestation neuropathologique isolée de la « maladie d’Alzheimer » est voué à l’échec. Il faut donc urgemment changer de perspective au plan de la recherche (neurobiologique, pharmacologique et préventive), et promouvoir une approche qui prenne réellement en compte la complexité et la variabilité individuelle du vieillissement cérébral et cognitif.

Dans ce contexte, on a vu apparaître le concept de médecine dite « de précision », avec l’idée que cette approche de la médecine serait particulièrement pertinente dans le domaine de la « maladie d’Alzheimer », et plus généralement de la « démence ». La médecine de précision représente une approche du traitement médical et de la prévention qui ne considère plus la population comme homogène, et se donne dès lors pour objectif d’identifier quelles sont les stratégies de traitement et de prévention efficaces pour des sous-groupes particuliers de patients, en se basant sur des facteurs génétiques et épigénétiques, environnementaux et en lien avec le style de vie. Elle se nourrit notamment de connaissances (de données) obtenues via des recherches portant sur d’importantes cohortes de personnes.

La médecine de précision, appliquée à la démence, pourrait paraître bien adaptée à l’étude des multiples mécanismes et facteurs qui sont impliqués dans le vieillissement cérébral et psychologique problématique, et ce, de façon variable selon les personnes. Cependant, ce courant soulève de très nombreuses questions scientifiques, organisationnelles et économiques, cliniques, sociales, juridiques éthiques et philosophiques. En particulier, il se pose la question de la vision déshumanisante à laquelle elle conduit, ainsi que de son coût financier très important. De plus, des doutes ont été émis quant à sa faisabilité et à son utilité, qui restent toutes deux largement à démontrer.

S’il nous apparaît important que la recherche neurobiologique dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif prenne davantage en compte son caractère plurifactoriel et pluri-mécanismes, ainsi que son importante hétérogénéité, en abandonnant l’illusion du « médicament miracle », il ne faudrait pas pour autant que l’essentiel des ressources financières soient désormais consacrées à l’exploration de dysfonctionnements affectant des « systèmes neurobiologiques complexes » et au développement d’une « médecine et pharmacologie de précision », dont les succès à court ou moyen terme sont assez imprévisibles.

En effet, les besoins actuels sont déjà énormes ! Il est indispensable d’allouer ici et maintenant des moyens plus importants pour mettre en place :

- des actions communautaires favorisant l’engagement des personnes présentant une « démence » au sein même de la société, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant ;

- des interventions psychologiques et psychosociales focalisées sur les difficultés quotidiennes et la souffrance psychologique de ces personnes, ainsi que celles de leurs proches ;

- des interventions de prévention focalisées sur des facteurs intervenant tout au long de la vie et dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques des difficultés.

- des structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Ce qui suppose aussi l’installation d’équipes multi- et interdisciplinaires.

En outre, il importe aussi de changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme, en passant d’une approche centrée sur la sécurité, les questions médicales et l’uniformité à une approche davantage centrée sur la personne (ses aspirations, sa qualité de vie) et sur ses liens avec la société. Enfin, des actions devraient tout particulièrement être entreprises afin d’optimiser le bien-être des personnes âgées présentant une « démence » et qui sont en fin de vie

Des échecs retentissants et répétés dans la recherche pharmacologique

Au début de l’année 2018, un nouvel échec dans le traitement pharmacologique de la « maladie d’Alzheimer » a été rapporté par Atri et ses collaborateurs (2018). Cette étude a en effet montré l’absence d’effet bénéfique de l’idalopirdine (une molécule censée avoir des propriétés cholinergiques, glutamatergiques, dopaminergiques et noradrénergiques) sur le fonctionnement cognitif de personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » légère à modérée. Cet article décrit les résultats négatifs de trois essais cliniques randomisés de phase 3 (étude pivot de comparaison d'efficacité), multicentriques (119 sites dans l’étude 1, 158 sites dans l’étude 2, 126 sites dans l’étude 3) et multinationaux (16 pays impliqués dans l’étude 1, 18 pays dans l’étude 2, et 16 pays dans l’étude 3). En tout, ces essais ont recruté un total de 2525 personnes.

De même, en janvier 2018, Honig et collaborateurs ont décrit les résultats négatifs d’un essai (EXPEDITION 3) concernant le solanezumab, un anticorps monoclonal conçu dans le but de « nettoyer » le peptide amyloïde bêta du cerveau. Cet essai s’inscrivait dans la suite de deux essais précédents, pour lesquels des analyses secondaires avaient montré un modeste effet de ralentissement du déclin cognitif. Ce nouvel essai, qui a uniquement inclus des personnes avec une « maladie d’Alzheimer » légère et présentant des signes avérés de dépôt amyloïde, n’a pas confirmé l’effet bénéfique précédemment observé.

Il est à noter que, à la même période, le groupe pharmaceutique américain Pfizer a annoncé qu’il cesserait de chercher de nouveaux médicaments contre les « maladies d’Alzheimer et de Parkinson » et qu’il allouerait plutôt ses ressources à des domaines dans lesquels « son expertise est la plus forte ».

Comme le relève Bennett (2018), plus de 400 essais cliniques visant des traitements médicamenteux de la « maladie d’Alzheimer » ont été enregistrés durant ces 15 dernières années, avec un taux d’échec d’environ 100 %. Dans ce contexte, rappelons que, en octobre 2016, la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) en France jugeait inefficaces, et sources d'effets indésirables potentiellement graves et pouvant affecter la qualité de vie, quatre médicaments « anti-Alzheimer » pourtant largement prescrits (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®) et prônait qu’ils ne soient plus remboursés - avis qui n’a cependant pas été suivi par les responsables politiques français (voir nos chroniques « La Haute Autorité de Santé en France conclut à l’inefficacité des médicaments contre la « maladie d’Alzheimer » : cela mènera-t-il à un changement d’approche ? » ; « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments "anti-Alzheimer" ? »).

 

Et pourtant, en dépit de ces innombrables échecs thérapeutiques, différents chercheurs et cliniciens continuent à propager l’idée selon laquelle il existe des traitements médicamenteux efficaces et que de nouveaux traitements sont en voie d’être identifiés. Ainsi, par exemple, le Centre de la Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (dont nous avions déjà décrit les objectifs réductionnistes et pathologisants dans une chronique précédente « Quand un centre de la mémoire fait des annonces inacceptables sur le diagnostic précoce de la "maladie d’Alzheimer" ») et qui a été inauguré le 6 février 2018, annonce, dans un communiqué de presse (voir le pdf), qu’il « accorde une grande importance à la détection précoce de la maladie afin d’introduire un traitement le plus rapidement possible dans le but d’en freiner, voire stopper, la progression et d’améliorer la qualité de vie ». Par ailleurs, l’un des premiers objectifs affichés de ce centre est de « permettre à des patients de participer à des essais cliniques avec les techniques et les médicaments préventifs expérimentaux les plus innovants, tels qu’anti-amyloïde, anti-tau ou radiothérapie notamment ».

Il existe pourtant de plus en plus d’éléments amenant à considérer que l’approche qui consiste à rechercher le traitement « miracle » qui permettrait de traiter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » avec une même molécule est totalement illusoire. Ce constat découle essentiellement de la complexité et de l’hétérogénéité de l’état appelée « maladie d’Alzheimer » (et d’ailleurs aussi des autres « maladies neurodégénératives »).

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

L’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer », de la « démence » et, plus généralement, du vieillissement

Les données cliniques et neuropathologiques obtenues par diverses études menées sur des échantillons issus de la population générale et qui ont incorporé une autopsie cérébrale montrent que la démence de type « maladie d’Alzheimer », mais aussi d’autres types de démences, se caractérisent par la présence concomitante de multiples manifestations neuropathologiques (voir Kapasi, DeCarli, & Schneider, 2017). Ainsi, les personnes âgées présentant des pathologies considérées comme typiques de la maladie d’Alzheimer (des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires) montrent également, de façon fréquente, des pathologies cérébrovasculaires (macro- et micro-infarctus, athérosclérose, artériosclérose, angiopathie amyloïde cérébrale), ainsi que diverses autres pathologies (corps de Lewy, TDP-43, sclérose hippocampique…). Il faut toutefois relever que ces multiples neuropathologies sont aussi relevées chez des personnes âgées avec des troubles cognitifs légers et chez des personnes âgées sans trouble cognitif...

Dans une étude récente, Boyle et al. (2018) ont examiné dans quelle mesure différentes neuropathologies contribuaient au déclin cognitif à un niveau individuel. Cette exploration a été menée auprès d’un échantillon de 1079 personnes âgées, issues de deux importantes recherches longitudinales, épidémiologiques et clinico-pathologiques consacrées au vieillissement. Ces personnes ont donc été suivies longitudinalement (sur une période allant jusqu’à 22 ans), avec notamment un suivi au plan cognitif (une mesure composite de fonctionnement cognitif établie à partir de 17 tests cognitifs). Par ailleurs, après leur décès (à un âge moyen de 89.7 ans), ces personnes ont fait l’objet d’une autopsie cérébrale et d’examens neuropathologiques, qui ont identifié des neuropathologies « Alzheimer » (plaques séniles, plaques diffuses, dégénérescences neurofibrillaires), des macro-infarctus, l’angiopathie amyloïde cérébrale, la protéine TDP-43, l’athérosclérose, l’artériosclérose, les corps de Lewy et la sclérose hippocampique.

Les résultats ont tout d’abord montré que la présence de neuropathologies est fréquente chez les personnes âgées et que, très souvent, plusieurs neuropathologies sont présentes de manière concomitante : 94% des personnes avaient une neuropathologie ou plus, 78% avaient 2 neuropathologies ou plus, 58% avaient 3 neuropathologies ou plus, 35% avaient 4 neuropathologies ou plus, et 16.8% avaient 5 neuropathologies ou plus. Les pathologies « Alzheimer » (plaques séniles, plaques diffuses et dégénérescences neurofibrillaires) étaient les plus fréquentes (65%), mais apparaissaient rarement de façon isolée (9%). Étonnamment, 236 combinaisons de neuropathologies ont été observées, chacune apparaissant dans moins de 6% de l’échantillon (il s’agit d’un nombre qui pourrait être obtenu sur base du hasard) et 100 combinaisons n’étaient présentes que chez un seul individu.

Par ailleurs, les auteurs ont examiné l’association entre les différentes neuropathologies et le déclin cognitif. A l’exception des micro-infarctus, toutes les neuropathologies étaient indépendamment associées à un niveau cognitif plus bas dans une période proche du décès et à un déclin cognitif plus rapide. Enfin, il est apparu que la contribution relative des neuropathologies spécifiques au déclin cognitif variait considérablement d’une personne à l’autre. Ainsi, par exemple, quand elles étaient présentes, les pathologies « Alzheimer » rendaient compte en moyenne de plus de 55% du déclin cognitif total. Cependant, à un niveau individuel, elles pouvaient rendre compte d’entre 22.3% et 100% du déclin cognitif, selon les autres neuropathologies présentes. Bien que présents dans seulement 10% environ de l’échantillon, les corps de Lewy et la sclérose hippocampique rendaient compte en moyenne, respectivement, de 41% et de 24.9% du déclin cognitif total, mais à nouveau avec des variations importantes dans la contribution au plan individuel (entre 20 et 50%). La protéine TDP-43 rendait compte de 23.8% du déclin cognitif total, avec une contribution au plan individuel allant de 15 à 35%. Les pathologies vasculaires rendaient compte d’environ 20% du déclin cognitif global, avec des variations au plan individuel entre 16 et 20%. Notons également que, sur les 35% des personnes examinées qui ne remplissaient pas les critères neuropathologiques de « maladie d’Alzheimer », 21% avaient pourtant reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer ». Et, sur les 44% des personnes qui avaient reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer » peu avant leur décès, 17% n’en avaient pourtant pas les critères neuropathologiques.

En conclusion, ces résultats confirment la présence fréquente de neuropathologies chez les personnes âgées, l’existence d’une importante comorbidité neuropathologique, et une grande variabilité, au plan individuel, dans l’impact de chaque neuropathologie sur le déclin cognitif.  

De façon intéressante, Boyle et al. (2013) ont également constaté que les neuropathologies considérées comme typiques des trois « maladies démentielles » les plus courantes (maladie d’Alzheimer, maladie cérébrovasculaire et maladie à corps de Lewy) expliquent moins de la moitié des différences interindividuelles dans le déclin cognitif.

En d’autres termes, il apparaît qu’une grande partie des problèmes cognitifs liés à l’âge et à la démence n’est pas expliquée et que d’autres mécanismes sont impliqués. Par exemple, parmi ces nouveaux mécanismes explorés, des anomalies dans les fonctions des astrocytes (des cellules gliales qui assurent diverses fonctions centrées sur le support et la protection des neurones) semblent être impliquées dans la pathogenèse des « maladies neurodégénératives » (Gorshkov, Aguisanda, Thorne, & Zheng, 2018).

Dans ce contexte d’une variabilité non expliquée, il s’agirait également de mieux comprendre les interactions entre les neuropathologies et les facteurs de résilience, à savoir les facteurs qui contribuent à préserver le fonctionnement cognitif en dépit de la présence de neuropathologies.

Il importe aussi de rappeler que plusieurs chercheurs (p. ex., Castellani & Perry 2012 ; Drachman, 2014) ont mis en question le fait que les modifications neuropathologiques (et tout particulièrement les plaques séniles/amyloïdes) pussent être la cause de la maladie d’Alzheimer. Castellani et Perry ont émis l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif, voire une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet.  

Relevons enfin que l’hétérogénéité de la « démence », et notamment de la « maladie d’Alzheimer », se manifeste aussi sur le plan de l’atrophie cérébrale. Ainsi, Polakis et al. (2018) ont mis en évidence, chez 299 personnes ayant reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer probable » (selon les critères NINCDS/ADRDA ; avec un MMSE entre 20 et 26 et un CDR de 0.5 ou 1) et issues de deux cohortes multicentriques, 5 sous-types d’atrophie corticale et sous-corticale :

- un groupe avec une atrophie cérébrale minimale dans le cortex entorhinal gauche ;

- un groupe avec une atrophie dans les régions temporales et limbiques (sous-type « limbique prédominant ») ;

- un groupe avec une atrophie principalement dans les régions pariétales et frontales (sous-type « préservation des régions hippocampiques ») ;

- un groupe avec une atrophie diffuse dans plusieurs régions corticales et sous-corticales à l’exception des régions postcentrale, précentrale, frontale moyenne caudale, paracentrale et du cuneus (sous-type « diffus 1 ») ;

- un groupe avec une atrophie plus sévère et plus étendue dans pratiquement toutes les régions corticales et sous-corticales (sous-type « diffus 2 »).

Par ailleurs, ces différents sous-types diffèrent au niveau de l’âge, du début de la « maladie, du niveau scolaire et de la nature de déficits cognitifs. De plus, les sous-types « préservation des régions hippocampiques », « diffus 1 » et « diffus 2 » montrent un déclin cognitif plus important avec le temps. D’autres données concernant l’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer (notamment, l’hétérogénéité des problèmes cognitifs et des trajectoires cognitives) peuvent être trouvées dans une de nos chroniques précédentes (« Quand l’hétérogénéité de la maladie d’Alzheimer, et plus généralement du déclin cognitif, s’affirme de plus en plus »).

Implications pour la recherche neurobiologique, pharmacologique et préventive

De façon générale, et comme le relève Bennett (2018 ; voir aussi Murphy, 2018), la comorbidité et l’hétérogénéité neuropathologiques qui caractérisent la « maladie d’Alzheimer » (et plus généralement les « démences ») conduisent à constater qu’un traitement pharmacologique / médical ciblant une manifestation neuropathologique isolée n’est et ne sera, de toute évidence, pas en mesure d’avoir un effet bénéfique significatif. De plus, il faut tenir compte du fait que l’efficacité d’un agent thérapeutique ciblant une manifestation neuropathologique spécifique variera selon la présence d’autres manifestations neuropathologiques.

Il y a donc un urgent besoin d’un changement de paradigme au plan de la recherche (neurobiologique, pharmacologique et préventive), avec une approche systémique qui prenne réellement en compte la complexité et la variabilité interindividuelle du vieillissement cérébral et psychologique (cognitif, socio-émotionnel, motivationnel).

Plus spécifiquement, il s’agirait d’explorer conjointement :

- les multiples mécanismes neurobiologiques impliqués dans la démence et les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres ;

- les différents facteurs de risque et de protection (génétiques, psychologiques, environnementaux, en lien avec le style de vie, culturels) mis en évidence par les études épidémiologiques et les mécanismes par lesquels ils agissent ;

- les capacités compensatoires (la plasticité cérébrale et psychologique) et les facteurs qui modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles.

Dans ce contexte, Ganguli et collaborateurs (2018) ont suggéré de placer la recherche neurobiologique sur la démence dans le contexte de la vie réelle et de la population générale, à savoir mélanger les techniques et les modèles de la neuroscience avec ceux de l’épidémiologie et des biostatistiques. Cette approche que les auteurs ont intitulée « population neuroscience » devrait permettre de minimiser les biais de sélection typiques de la recherche clinique traditionnelle (p. ex., le recrutement au sein des consultations-mémoire), d’identifier des sous-groupes de personnes au sein de la population générale, de mieux comprendre ce qui les différencie (au plan neurobiologique et en termes de facteurs de risque et/ou de protection) et de déterminer ceux qui répondent à différentes stratégies de traitement et de prévention ; d’examiner des manifestations psychologiques (cognitives, socio-émotionnelles, motivationnelles) plus larges et plus variées ; de déterminer, via un suivi à long-terme de cohortes suffisamment importantes, des effets de cohorte (des effets en lien avec les caractéristiques particulières des populations examinées), ainsi que des fenêtres critiques d’exposition à des facteurs de risque et de protection.

Selon Ganguli et collaborateurs, cette approche de « population neuroscience » devrait fournir des informations précieuses pouvant utilement nourrir la médecine de précision (ou, selon un terme plus ancien, la médecine personnalisée) et, plus largement, la santé de la population.  

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

Médecine de précision ou approche centrée sur la personne ?

La médecine de précision représente une approche émergente du traitement médical et de la prévention, qui prend en compte la variabilité individuelle dans les gènes, l’environnement et le style de vie. De façon plus spécifique, elle ne considère plus la population comme homogène et se donne dès lors pour objectif d’identifier quelles sont les stratégies de traitement et de prévention efficaces pour des sous-groupes particuliers de patients, en se basant sur des facteurs génétiques et épigénétiques, environnementaux et en lien avec le style de vie. La médecine de précision se distingue d’une médecine « à taille unique », selon laquelle les stratégies de traitement et de prévention sont développées pour la personne « moyenne », en considérant moins les différences entre individus (sur plusieurs facteurs). Elle est par ailleurs censée se nourrir de connaissances obtenues via des recherches portant sur d’importantes cohortes de personnes. Il faut relever qu’un groupe de travail s’est formé concernant la médecine de précision dans la « maladie d’Alzheimer » (Alzheimer Precision Medicine Initiative, APMI) et que ce groupe s’est récemment penché sur la question de la pharmacologie de précision (Hampel et al., 2018).

La médecine de précision, appliquée à la démence, apparaît de prime abord bien adaptée aux multiples mécanismes et facteurs qui sont impliqués dans le vieillissement cérébral et psychologique problématique, et ce, de façon variable selon les personnes. Cependant, et de façon générale, ce courant soulève de très nombreuses questions scientifiques, organisationnelles et économiques, cliniques, sociales, juridiques, éthiques et philosophiques (que nous n’aborderons évidemment pas toutes en détails dans cette chronique).

Ainsi, certains l’ont analysée comme un nouveau mythe consistant « […] à faire croire que l’analyse des données va révéler la vérité intime des pathologies, le comportement des structures biologiques. Et même assurer un nouveau bien-être de la population en ouvrant la voie à des vies sans fin et une communication exhaustive. Derrière la révolution annoncée par la médecine fondée sur les données (c’est ce qu’est en réalité la médecine de précision), il y a l’idée que les humains eux-mêmes ne sont que des systèmes de données » (Kiefer, 2015). Comme le relève également Kiefer (2016), « L’humain n’est pas qu’un objet transparent à des systèmes que le décrivent et l’expliquent. Il est aussi acteur, créateur de valeurs, de normes et, à la fin, de lui-même. C’est à nous tous et à chacun d’entre nous de définir à tout moment ce qu’est la santé : en ce sens seulement, on peut parler de médecine ou de santé personnalisée ».

Dans un article du journal Le Temps (https://www.letemps.ch/opinions/medecine-personnalisee-quelques-questions-impertinentes), Anne Sandoz, licenciée en lettres et théologienne, s’interroge aussi sur la vision que la médecine de précision (médecine personnalisée) véhicule : « Envisageons-nous l’humain de manière mécaniste en tant que porteur de multiples défectuosités potentielles qu’il s’agit d’identifier, d’anticiper, de corriger et de réparer en continu? Ou le concevons-nous comme un tout biologique, psychique, social, spirituel, en devenir permanent, avec ses imprévisibilités et ses ressources vitales propres ? Selon la réponse donnée, davantage de fonds seront alloués à la médecine «personnalisée», prédictive, qui engloutit des moyens colossaux tout en se limitant à des domaines spécifiques, ou en amont pour travailler sur ce qui favorise un état de santé global des individus et de la société ». Elle ajoute : « Parler de médecine personnalisée fait en effet rire jaune alors que patients et résidents d’EMS ne peuvent être conduits aux toilettes quand ils en expriment le besoin. Ou que des personnes handicapées à domicile attendent vainement de l’aide toute la matinée par manque de "ressources humaines"… ». Anne Sandoz incite enfin à repenser la notion de santé : « Parallèlement, nous pourrions repenser fondamentalement les notions mêmes de santé, de guérison et de maladie en sortant d’une logique binaire : la santé est-elle uniquement une absence de maladie ? N’y a-t-il guérison, comme le suggèrent les questionnaires des assurances-maladie, que lorsqu’un traitement est terminé avec un succès objectivement mesurable ? De quoi devons-nous en fait « guérir » ? De la non-acceptation de notre finitude ? De notre désir jamais assouvi de maîtrise ? De notre orgueil et de notre incapacité à reconnaître notre dépendance fondamentale les uns par rapport aux autres ? ».

D’autres ont émis des doutes quant à la faisabilité et à l’utilité de la médecine de précison, qui restent toutes deux largement à démontrer. Dans cette perspective, Khoury et Galea (2016) concluent leur analyse critique comme suit (traduit par nos soins) : « Même avec des millions de données biologiques recueillies auprès des individus, il se peut que des interventions au niveau de la population affectant le logement, la nutrition, la pauvreté, l'accès aux ressources et l'éducation aient plus de bénéfices pour la santé que des interventions individualisées. En fait, il est plus probable qu'une combinaison d'approches - allant d'interventions à l'échelle de la population à des interventions spécifiques adaptées à des groupes à risque élevé - sera nécessaire pour améliorer efficacement la santé de la population et réduire les disparités en matière de santé ».

Brave new medicine...

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Ainsi, autant il nous apparaît important que la recherche neurobiologique dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif (de la « démence ») prenne davantage en compte son caractère plurifactoriel et pluri-mécanismes - ainsi que son importante hétérogénéité - , en abandonnant l’illusion du « médicament miracle », autant il nous semble crucial de bien veiller à ce que l’essentiel des ressources financières ne soient pas consacrées à l’exploration de dysfonctionnements affectant des « systèmes neurobiologiques complexes » et au développement d’une « pharmacologie de précision », dont les succès à court ou moyen terme sont assez imprévisibles. En effets, les besoins actuels sont déjà énormes !

Dès à présent, il est indispensable d’allouer des moyens plus importants afin de mettre en place :

- des actions communautaires permettant de réduire les obstacles socialement imposés aux personnes âgées présentant une « démence », et de combattre la dévaluation, la stigmatisation et les inégalités de traitement dont elles font l’objet, la non satisfaction de certains de leurs besoins, et même la violation de leurs droits humains. Il s’agit donc de créer des lieux de vie qui « rendent capables les personnes présentant une démence » (dementia enabling communities) et de favoriser leur engagement au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant ;

- des interventions psychologiques et psychosociales focalisées sur les difficultés quotidiennes et la souffrance psychologique de ces personnes, ainsi que celles de leurs proches, et ce, à partir d’une interprétation psychologique individualisée (une formulation de cas), prenant en compte de façon intégrée différents types de processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels, identitaires), tout en tentant aussi d’identifier le rôle des facteurs biologiques, des facteurs socio-culturels et des événements de vie. Ces interventions devraient également être guidées par les composantes de la réappropriation de soi, à partir desquelles une personne peut retrouver - ou trouver - un sens à la vie, un sentiment de bien-être, une place dans la société selon son choix, le pouvoir d’agir, un rôle social, en dépit de difficultés psychologiques ou fonctionnelles. Pour rappel, ces composantes de la réappropriation de soi sont : être en relation et avoir le sentiment d’appartenir à une communauté ; avoir de l’espoir et de l’optimisme concernant le futur, en ayant le sentiment de pouvoir se réapproprier soi-même ; avoir un sentiment d’identité personnelle et s’affranchir de la stigmatisation ; donner un sens à sa vie et avoir des activités signifiantes ; avoir un sentiment de contrôle de son existence.

- des interventions de prévention focalisées sur des facteurs intervenant tout au long de la vie et dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques des difficultés. Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir du rapport « Prévention de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées » rédigé sous l’égide du Haut Conseil de la Santé Publique en France, publié en décembre 2017, et qui dresse un tableau riche et complet de la question de la prévention dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif problématique (voir le pdf). Il faut cependant prendre conscience du fait qu’un grand nombre d’entre nous rencontrerons, durant le grand âge, des difficultés physiques, cognitives et fonctionnelles, même si des interventions de prévention sont mises en place. De ce point de vue, la conception du « vieillissement réussi » (successful aging), qui met l’accent sur les choix individuels d’un style de vie potentiellement bénéfique et sur la responsabilité personnelle dans l’optimisation du fonctionnement quotidien, conduit de fait à dévaluer, voire à mettre en accusation, les personnes âgées présentant des troubles cognitifs et fonctionnels. En outre, elle néglige le fait que ces choix et cette responsabilité sont aussi fortement contraints par des facteurs socio-économiques et environnementaux (ressources financières, éducation, accès aux soins de santé et aux activités stimulantes). Rappelons également que les interventions de prévention doivent se fonder sur une approche holistique, prenant en compte les facteurs psychologiques, sociaux, culturels, etc., et pas uniquement sur les facteurs médicaux, et qu’elles nécessitent dès lors des équipes pluridisciplinaires.

La mise en place de mesures visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, passe par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. En d’autres termes, il s’agit d’offrir aux personnes âgées présentant une « démence », ainsi qu’à leurs proches, des possibilités d’évaluation, de conseils, d’interventions et de suivi au sein même de leur milieu de vie, c’est-à-dire dans des structures de soins primaires, et non au sein de consultations ou centres de mémoire spécialisés. Cela suppose aussi la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleur·se·s sociaux·ales, des infirmier·ère·s, des médiateur·trice·s culturel·le·s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre).

Enfin, il importe également de changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme, en passant d’une approche centrée sur la sécurité, les questions médicales et l’uniformité (avec la pathologisation des comportements et la surconsommation médicamenteuse qui en découlent) à une approche davantage centrée sur la personne (ses aspirations, sa qualité de vie) et sur ses liens avec la société. Plus spécifiquement, il s’agit de s’attaquer aux quatre fléaux que sont la solitude, le sentiment d’impuissance, l’ennui, et les activités qui n’ont pas de sens. En outre, des actions devraient tout particulièrement être entreprises afin d’optimiser le bien-être des personnes âgées présentant une démence et qui sont en fin de vie.

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

Références

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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 19:35

Comme nous l’avons maintes fois mentionné, les consultations mémoire (ou cliniques mémoire ou encore centres de la mémoire), dont le nombre n’a cessé de croître depuis le milieu des années 1990, constituent une structure pivot de l’approche biomédicale dominante de la « démence » ou, plus spécifiquement, de la « maladie d’Alzheimer ». Depuis peu, on a vu apparaître, dans certaines de ces structures, une activité de diagnostic, visant à repérer, au moyen de biomarqueurs, des personnes présentant une « maladie d’Alzheimer » à un stade précoce, voire même « préclinique » (soit sans symptômes objectifs).

Il en va ainsi du nouveau Centre de la Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui a vu le jour en juin 2016, en remplacement de la Consultation de la Mémoire (voir la page 6 du numéro d’octobre-novembre-décembre 2016 du magazine « Pulsations » des HUG). En résumé, l’objectif principal et explicite de ce centre est de dépister précocement la « maladie d’Alzheimer », en partant du principe que plus les traitements débutent tôt, plus ils seraient efficaces. La prise en charge proposée comporte les éléments suivants :

* un recueil minutieux de l’histoire des troubles cognitifs, et des tests neuropsychologiques ;

* un examen d’imagerie à résonance magnétique (IRM) à haute définition afin de visualiser la diminution de la taille de l’hippocampe ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET) afin d’évaluer les zones du cerveau présentant une baisse d’activité ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET amyloïde) afin d’identifier les dépôts de protéines toxiques amyloïde ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET tau) afin d’identifier les dépôts de protéine toxiques tau ;

* une ponction lombaire dans le but de déterminer la concentration des protéines amyloïde et tau.

Il faut noter que, n’étant pas remboursés par les assurances maladie, les examens PET amyloïde et tau seront « offerts » grâce à des fonds de recherche.... Néanmoins, le coût global des autres examens conduira à une facture importante – de plusieurs milliers de francs pour chaque cas – pour les assurances maladie.

Dans l’article de Pulsations, il est également mentionné que ce centre proposera les médicaments de « dernière génération »...., ainsi que la formation des médecins de ville, et offrira une approche non pharmacologique (des programmes de réhabilitation), dont le contenu n’est pas précisé, mais qui visera, selon le Pr. Frisoni, responsable du centre, « … à travailler sur la résilience, la capacité du cerveau à mobiliser des ressources nerveuses pour contrer la progression de la maladie ». Le Pr. Frisoni ajoute qu’ «.. il faudra former les médecins à annoncer un diagnostic précoce de manière informative et respectueuse de l’émotion du patient et de ses proches ».

Ces différentes annonces laissent donc à penser :

- qu’il existe des techniques de diagnostic précoce valides et fiables,

- qu’il y a ou aura des médicaments efficaces (et qui seront d’autant plus efficaces qu’ils seront pris précocement) et, enfin,

- qu’on peut mobiliser des ressources nerveuses, via la réhabilitation, pour contrer la progression de la maladie.

Or, ces constats ne reposent sur aucun fait établi par les recherches scientifiques !

D’ailleurs, quatre spécialistes des domaines de la gériatrie, de l’épidémiologie et de la santé publique ont clairement mis en question les politiques publiques incitant à un dépistage précoce de la « démence », en indiquant en quoi ces incitations ne reposaient pas sur des données empiriques probantes et ignoraient les méfaits pouvant y être associés (Le Couteur, Doust, Creasey, & Brayne, 2013 ; voir notre chronique « La détection précoce de la "démence" : Halte à la médicalisation du vieillissement ! »). Ils mettent ainsi en avant les différents problèmes liés à l’expansion des consultations-mémoire, à l’adoption du concept catégoriel de « MCI » (« Mild Cognitive Impairment » ou Trouble Cognitif Léger), ainsi qu’à l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie à des fins de diagnostic précoce de la « maladie d’Alzheimer » (à plus forte raison préclinique ou asymptomatique). Par ailleurs, ils indiquent en quoi le recours au concept de « MCI » ou aux biomarqueurs ne peut pas se justifier en invoquant la possibilité offerte aux personnes âgées de planifier leur futur en connaissance de cause, ni en considérant les bénéfices que pourraient tirer ces personnes d’un traitement. Enfin, ils relèvent les risques, effets négatifs et coûts financiers du dépistage et diagnostic précoces, les intérêts économiques et commerciaux considérables qui y sont associés et aussi le fait que les ressources qui y sont consacrées sont autant de ressources qui ne seront pas disponibles pour l’amélioration des soins et de la qualité de vie des personnes présentant une « démence » avancée.

En fait, la démarche adoptée par le Centre de la Mémoire des HUG s’inscrit pleinement dans l’approche biomédicale dominante, qui néglige l’extrême complexité du vieillissement cérébral et cognitif, à savoir les multiples facteurs et mécanismes qui sont impliqués (tout au long de la vie) dans la survenue d’un vieillissement problématique, ainsi que la diversité extrême de ses manifestations et de son évolution, et qui pathologise et stigmatise de plus en plus les personnes âgées  (voir notre article à paraître dans la revue Dementia,  Van der Linden & Juillerat, 2017 ; lien).

L’efficacité diagnostique des biomarqueurs et de l’examen neuropsychologique ?

Comme le relèvent Le Couteur et collaborateurs (2013), il n’existe pas d’étude menée sur une vaste population ayant montré que l’association entre des marqueurs biologiques et la «démence » (ou les anomalies neuropathologiques sous-jacentes) est suffisamment robuste pour justifier leur utilisation dans la pratique clinique.

En fait, il apparaît que les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » présentent très fréquemment plusieurs caractéristiques neuropathologiques, non seulement des plaques séniles (protéine amyloïde) et des dégénérescences neurofibrillaires (protéine tau), mais aussi des corps de Lewy, la protéine TDP-43, une sclérose hippocampique, diverses anomalies vasculaires, etc..

Par ailleurs, les protéines considérées comme étant « anormales » et impliquées dans différents types de « démences » (protéine tau, protéine amyloïde, protéine TDP-43, alpha-synucléine) sont très fréquemment observées chez des personnes âgées ne présentant pas de troubles cognitifs ou de « démence » (pour une étude récente, voir, p. ex., Elobeid et al., 2016).

En outre, plusieurs chercheurs, tels que Castellani et Perry (2012 ; voir également Drachman, 2014), contestent l’approche moléculaire dominante de la « maladie d’Alzheimer » selon laquelle certains mécanismes moléculaires spécifiques (tels que la cascade amyloïde ou la phosphorylation de la protéine tau) constitueraient les facteurs causaux de la maladie d’Alzheimer. Castellani et Perry suggèrent plutôt aux chercheurs et cliniciens de prendre davantage au sérieux l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif ou une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet.

Il faut également relever que les personnes ayant reçu un diagnostic de "maladie d'Alzheimer" montrent des patterns d'atrophie cérébrale très variés, pouvant ne pas affecter les régions hippocampiques  (voir notamment Noh et al., 2014). En outre, le vieillissement dit normal s'accompagne de modifications cérébrales dans les mêmes régions que celles où l'on observe des changements - quoique plus marqués - chez les personnes ayant reçu le diagnostic de "maladie d'Alzheimer" (Fjell et al., 2014).

Notons enfin que l’importante hétérogénéité des symptômes cognitifs et socio-émotionnels des « maladies neurodégénératives » (voir Scheltens et al., 2016, concernant l'hétérogénéité symptomatique de la "maladie d'Alzheimer") et les recouvrements observés entre les différents types de « maladies » rendent globalement peu pertinente l’utilisation de l’examen neuropsychologique à des fins de diagnostic différentiel, à savoir repérer les signes cognitifs distinctifs de ces « maladies », ou dans une fonction prédictive, c.-à-d. prédire l’évolution des difficultés cognitives.

L’efficacité des médicaments ?

Il apparait clairement que les médicaments « anti-Alzheimer » existants (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®) ne sont pas efficaces, même quand ils sont administrés chez des personnes considérées comme étant à un stade précoce de la « maladie d’Alzheimer », en particulier des personnes ayant reçu un diagnostic de  MCI  ((voir nos chroniques « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments «anti-Alzheimer ?  » et « Le courage politique de s’opposer à l’empire Alzheimer et de changer d’approche ! » ; voir également Tricco et al., 2013). De plus, ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires, parfois graves.

Par ailleurs, au vu de la complexité et de l’hétérogénéité des mécanismes impliqués dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique,  il paraît complètement illusoire de penser qu’on découvrira le «médicament miracle » qui empêchera le développement de la « maladie d’Alzheimer » ou qui entravera son évolution. Au contraire, l’objectif devrait être de diversifier et d’individualiser les interventions et traitements. On en est loin et cela nécessitera un changement profond dans l’approche neurobiologique du vieillissement cérébral et cognitif, avec la mise en place de recherches guidées par une perspective systémique, conduisant au développement de modèles dynamiques et interactifs des processus impliqués dans la progression du déclin cognitif chez la personne âgée.

Un objectif plus immédiat devrait être de protéger les neurones âgés et de cibler les facteurs de risque (et les événements initiateurs) environnementaux et de style de vie. Il importe dès lors de prendre clairement le tournant de la prévention, et ce, par des interventions préventives ciblant différents facteurs de risque dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques vieillissement cérébral et cognitif. Parmi ces facteurs, on peut mentionner le fait de pratiquer davantage d’activité physique, d’accroître l’activité cognitive stimulante, de contrôler les facteurs de risque vasculaires (en particulier, l’hypertension), de prévenir l’hyperlipidémie, le diabète, l’obésité et la dépression (tout particulièrement, durant la quarantaine / cinquantaine), de réduire le tabagisme,  etc. (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014b ; Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2017).

En parallèle, il s’agirait également de proposer aux personnes présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique des interventions psychologiques et psychosociales individualisées, axées sur des buts et problèmes spécifiques pertinents dans la vie quotidienne et visant à accroître leur qualité de vie et leur bien-être.

L’efficacité de la réhabilitation cognitive ?

A ce jour, il n’existe aucune étude ayant démontré que la stimulation cognitive ou des programmes généraux d’entraînement cognitif peuvent avoir des effets bénéfiques sur l’évolution des problèmes cognitifs dans la vie quotidienne des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou de MCI (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016). En outre, on connaît encore très peu de choses sur les capacités compensatoires (la plasticité cérébrale et cognitive) des personnes âgées et sur les facteurs qui modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles.

Par contre, un nombre croissant d’études a mis en évidence l’intérêt d’une approche psychologique individualisée, dans laquelle des buts pertinents pour la personne, en lien avec sa vie quotidienne, sont identifiés, et où l’intervenant élabore avec la personne et ses proches des stratégies visant spécifiquement à atteindre ces buts en exploitant les capacités préservées de la personne, les facteurs d’optimisation et les moyens d’aide externe (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016).

Dans cette perspective, une étude randomisée multicentrique (ETNA3, impliquant 50 sites cliniques en France et 653 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ») a évalué l’efficacité de trois types d’intervention psychologique : la réminiscence, l’entraînement cognitif en groupe et les interventions cognitives personnalisées (Amieva et al., 2016). Dans le programme d’interventions personnalisées (en séances individuelles), il s’agissait tout d’abord de sélectionner avec la personne présentant une démence et un proche des activités signifiantes (de la vie quotidienne ou de loisirs) à optimiser et, ensuite, d’adapter les interventions en fonction des difficultés spécifiques rencontrées par la personne dans la réalisation de ces activités  (avec, p. ex., l’utilisation d’un apprentissage sans erreur). Les résultats ont montré que les interventions « réminiscence » et « entraînement cognitif en groupe» n’ont eu aucun effet bénéfique, en comparaison au « traitement habituel », sur diverses mesures de suivi à 3 et 24 mois (institutionnalisation, détérioration cognitive, statut fonctionnel, symptômes comportementaux, apathie, dépression, qualité de vie, charge pour le proche, utilisation des ressources de soins informels). Seules les « interventions cognitives individualisées » ont conduit à un effet bénéfique significatif à 24 mois sur les capacités fonctionnelles (moins de déclin fonctionnel que dans les trois autres conditions), un effet bénéfique tendanciel (à 24 mois) sur les symptômes comportementaux, un effet bénéfique significatif (à 3 mois) et tendanciel (à 24 mois) pour la charge perçue par le conjoint, un effet tendanciel (24 mois) pour l’utilisation des ressources, et un taux plus bas d’institutionnalisation.

Il faut relever que, dans cette étude, les objectifs des interventions individualisées se limitaient à rendre les personnes avec une démence plus aptes à réaliser certaines activités de la vie quotidienne ou de loisirs, et n’abordaient apparemment pas l’ensemble des dimensions (stigmatisation, estime de soi,  facteurs de stress, sentiment de contrôle, rôle familial et social, etc.) du vécu négatif et des difficultés de ces personnes. Or, il apparaît également essentiel d’envisager des objectifs d’intervention plus directement en lien avec les dimensions d’identité, de qualité de vie et de bien-être. De plus, des actions devraient aussi être entreprises à un niveau social et politique (dans différents domaines : environnement de vie, structures sociales, politiques sociale et de la santé), afin de favoriser l’engagement social des personnes âgées, les relations interpersonnelles – en particulier intergénérationnelles –, l’accès pour tous aux mesures de prévention et aux moyens d’aide, la réduction de l’isolement et de la pauvreté, etc.  

La mise en place de mesures (psychologiques, psychosociales et de prévention), visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, doit passer par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Cela suppose la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleurs/euses sociaux/ales, des infirmiers/infirmières, des médiateurs/trices culturel-le-s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre).

Dans ce contexte,  l’évaluation (neuro)psychologique aura les objectifs suivants : identifier l’apparition de difficultés cognitives, socio-émotionnelles et fonctionnelles chez la personne âgée, en comprendre la nature (dans une perspective multifactorielle et individualisée) et en suivre l’évolution ; explorer le vécu des personnes âgées (et de leurs proches) face à leurs difficultés ; déterminer (avec la personnes âgée et ses proches) des buts spécifiques et concrets  d’intervention psychologique et psychosociale ; déterminer des facteurs de risque pouvant faire l’objet de mesures de prévention (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014a).

Résistons à l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif !

L’approche de plus en plus neurobiologisante et réductionniste du vieillissement cérébral et cognitif est inquiétante et nous sommes à la croisée des chemins !

Va-t-on continuer à faire croire à la population que le vieillissement cérébral et cognitif problématique est le reflet de « maladies » (comme la « maladie d’Alzheimer ») ayant chacune une cause spécifique et, qu’un jour, le médicament ou traitement médical « miracle » sera découvert (dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ou 100 ans) ? Ce serait grave, car cette approche a de nombreuses conséquences néfastes. D’abord, elle extrait les manifestations de la démence du cadre général du vieillissement cérébral et cognitif. Ce faisant, elle contribue à la médicalisation et à la pathologisation du vieillissement et en propage une vision réductrice. Elle suscite également l’attente désespérée d’un traitement médicamenteux ou biologique miracle, mettant ainsi à l’arrière-plan l’ensemble des démarches susceptibles d’optimiser le bien-être, la qualité de vie, le sentiment d’identité, et ce, tant chez la personne démente que chez les proches aidants. En outre, elle favorise une vision du vieillissement en termes de fardeau et de crise, aux plans social et économique. Enfin, elle enferme les personnes âgées présentant des troubles cognitifs dans des étiquettes stigmatisantes et associées à des images apocalyptiques.

Ou va-t-on au contraire – enfin – présenter à la population un autre récit, qui assume la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique et qui réintègre ses diverses manifestations dans le contexte plus large du vieillissement ? Un récit qui met en avant que le vieillissement cérébral et cognitif fait partie de l’aventure humaine et qu’il s’accompagne inévitablement de difficultés cognitives (d’attention, de mémoire, etc.) et fonctionnelles qui, dans le grand âge, affectent, de façon importante, de nombreuses personnes. Un récit qui indique également que l’importance des problèmes cognitifs et fonctionnels liés au vieillissement varie considérablement d’une personne âgée à l’autre (ils sont plus légers et n’évoluent que très lentement chez certaines personnes, alors que, chez d’autres, ils sont plus graves et évoluent très rapidement), mais que cette évolution plus ou moins problématique du vieillissement cognitif et fonctionnel dépend de très nombreux facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, liés au style de vie, sociaux, culturels, et environnementaux), en interaction et agissant à tous les âges de la vie, et de nombreux mécanismes (vasculaires, neuro-inflammation, stress, anomalies de la connectivité/activité neuronale, etc.). Un récit qui met en avant l'existence de capacités préservées. Un récit disant qu'on peut encore bien vivre avec des difficultés cognitives, qu'on peut garder une vitalité et un sens à son existence et qu'on peut avoir une place et un rôle dans la société. Un récit qui dira aussi qu'il existe des démarches simples susceptibles d'atténuer  l'impact des difficultés cognitives et fonctionnelles, qu'une de ces démarches est de rester partie prenante dans la société et aussi de continuer à s'engager utilement en fonction de ses moyens, mais aussi que des interventions psychologiques et psychosociales peuvent aider à avoir une meilleure qualité de vie et un meilleur bien-être.

 Il ne s’agit donc en aucun cas de nier l’existence des problèmes cognitifs et fonctionnels pouvant affecter de manière importante les personnes âgées, mais d’en assumer pleinement la complexité et les nuances, tout en considérant que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif. Cela devrait contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et à mettre en place des structures sociales dans lesquelles les personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, peuvent trouver des buts, avoir un rôle social valorisant, maintenir des relations intergénérationnelles, etc. En ce sens, la « démence » devrait être considérée comme une expérience de vie, qui peut amener des changements dans la perception que la personne a du monde, mais durant laquelle des apprentissages sont possibles, un potentiel de développement personnel existe, et où il s’agit de maintenir le bien-être et l’autonomie par des aides et un environnement individualisés, ainsi que des « partenaires de soin » plutôt que des soignants, qui donnent aux personnes et à leur entourage les outils et le soutien pour faire face aux difficultés rencontrées. En d’autres termes, il s’agit de concevoir une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d’amener les membres de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté : une société qui serait d’ailleurs bénéfique à chacun d’entre nous, quel que soit notre âge !

Il ne s’agit pas non plus de rejeter la recherche neurobiologique, mais de soutenir une recherche qui s’affranchit de l’approche réductionniste basée sur l’exploration de cascades de petites molécules pour explorer d’autres hypothèses, impliquant en particulier des interactions entre diverses combinaisons de mécanismes neurobiologiques. Cette recherche devrait également considérer le vieillissement cérébral/cognitif en termes de continuum et non plus sur base de catégories de maladies (Walhovd, Fjell, & Epseseth, 2014) et tenter d’identifier, de façon plus précise, les différents facteurs (biologiques, médicaux. psychologiques, sociaux, environnementaux), ainsi que leurs relations, impliqués dans la survenue, plus ou moins progressive et rapide, de déficits affectant certains domaines cognitifs, variables selon les personnes.

On peut espérer que, prenant en compte les arguments susmentionnés, les personnes âgées résisteront à l’approche biomédicale réductrice et trompeuse, qui ne leur apportera aucun bénéfice (tout en ayant un coût financier important), mais qui, au contraire, les enfermera dans un diagnostic de maladie présentée comme « apocalyptique », ce qui contribuera encore davantage à les isoler, à les stigmatiser et dès lors, à accroître leurs difficultés, sans leur donner, ni à leur entourage, de véritables moyens pour y faire face.

Dans ce contexte, nous pensons qu’un grand débat citoyen, impliquant au premier chef les personnes âgées, devrait être organisé, sur les enjeux scientifiques, sociétaux et éthiques des différentes approches du vieillissement cérébral et cognitif.

© istockphoto.com/baranozdemir

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Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence légère à modérée. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2. Paris : De Boeck / Solal.

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29 octobre 2016 6 29 /10 /octobre /2016 16:23

Comme on pouvait s’y attendre, Marisol Touraine, Ministre des affaires sociales et de la santé du gouvernement français, n’a pas suivi la recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS) de ne plus rembourser les quatre médicaments « anti-Alzheimer » (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®), après qu'ils aient été jugés inefficaces et susceptibles de produire des effets indésirables potentiellement graves et pouvant affecter la qualité de vie (voir notre chronique précédente). Selon la ministre, la question du déremboursement ne peut et ne doit pas se poser avant qu’un protocole de soins ne soit élaboré par les scientifiques avec les associations de patients. Il est intéressant de relever que, ce faisant, elle désavoue la HAS, sans aucune justification détaillée à sa décision. En outre, elle ne fait aucune mention de l’importance accordée par la HAS à la prise en charge non médicamenteuse (globale et pluriprofessionnelle), ainsi qu'au soutien aux aidants. Plus spécifiquement, la ministre a chargé le président du comité de suivi du Plan de lutte contre les maladies neurodégénératives, le Pr Michel Clanet, d’organiser la consultation avec les professionnels de santé et les associations de patients qui composent ce comité. À l’issue de cette concertation, il remettra ses recommandations à la ministre (voir la chronique de Jean-Yves Nau, lien). En fait, cette décision est clairement une façon de botter en touche, en refusant de s’opposer à l’empire Alzheimer et en manifestant ainsi un manque évident de courage politique.

En effet, la position de l’association France Alzheimer concernant le déremboursement est claire. Comme l’indique sa vice-présidente, Madame Brigitte Huon (voir l’article de La Croix, pdf), dérembourser aurait été une véritable catastrophe et aurait constitué un aveu d’échec, comme si l’on considérait que « Il n’y a rien à faire contre cette maladie, cela ne sert donc à rien d’aller consulter ni même de faire le diagnostic ». Cette position traduit une fois de plus que l’association France Alzheimer (tout comme d’autres associations Alzheimer d’ailleurs) est inféodée au modèle biomédical dominant et sert de caution à ce modèle vis-à-vis du grand public et des institutions politiques et sociales. Dans la foulée, il faut également signaler les liens d’intérêt étroits que certains médecins « spécialistes de la maladie d’Alzheimer» qui défendent l’utilisation des médicaments anti-Alzheimer entretiennent avec les laboratoires pharmaceutiques (voir notre chronique « Médicaments anti-Alzheimer et conflits d'intérêt : un expert dévoile son jeu. »).

De très nombreuses voix se font pourtant entendre, de par le monde, indiquant qu’une autre approche du vieillissement cérébral et cognitif problématique est non seulement nécessaire, mais aussi possible : une approche prenant réellement en compte la multiplicité des mécanismes et des facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, en lien avec le style de vie, sociaux, culturels, environnementaux) qui influent sur le vieillissement cérébral et cognitif et ce, tout au long de la vie (voir Van der Linden & Van der Linden Juillerat, 2014). Cependant, comme le relèvent Chen, Maleski et Sawmiller (2011), ce changement d’approche ne pourra se mettre en place que si une prise de conscience générale se développe, amenant notamment à des priorités de financement. A ce propos, ils montrent en quoi la recherche scientifique dans le domaine du vieillissement est soumise à une importante pression : la peur aurait infiltré la recherche scientifique, en poussant les chercheurs à trouver un traitement curatif au détriment de la vérité scientifique.

Un changement dans les pratiques d’évaluation et d’intervention

Oui, il est possible de bien aider une personne âgée présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique sans avoir recours à des médicaments (voir l’entretien du Professeur Saint-Jean donné au journal La Croix, pdf). Il est faux de dire qu’un changement d’approche conduirait à susciter une attitude défaitiste chez les personnes âgées présentant un vieillissement problématique et leurs proches. Depuis plusieurs années, nous adoptons, au sein de la Consultation « Vieillir et Bien Vivre » (lien), une pratique clinique qui tient compte de la complexité du vieillissement cérébral et cognitif et de son individualité, qui n’enferme pas la personne présentant des troubles cognitifs et fonctionnels dans des catégories diagnostiques réductrices, pathologisantes et stigmatisantes et qui met l’accent sur les interventions psychosociales, la prévention et l’intégration sociale (pour une description détaillée de cette pratique clinique, voir notre chapitre « L’évaluation neuropsychologique de la démence: un changement d’approche » dans la 2e édition du Traité de Neuropsychologie clinique de l’adulte, Tome 1).

Ce type de pratique clinique peut bien sûr se heurter à certaines résistances liées à l’impact important que l’approche biomédicale dominante a encore sur les croyances et les attitudes des personnes qui consultent et/ou de leurs proches. Toutefois, notre expérience avec ce changement de pratique s’est avérée largement positive, les personnes qui nous consultent, ainsi que leurs proches et, bien souvent, leurs médecins traitants, indiquant combien cela leur avait ouvert de nouvelles perspectives. Les personnes âgées et leurs proches sont bien plus clairvoyants que ne l’insinue l’association France Alzheimer et elles ne sont pas dupes des limites de l’approche strictement biomédicale du vieillissement.

Par ailleurs, on dispose dès à présent de suffisamment de données scientifiques montrant la faisabilité et l’efficacité d’interventions psychologiques et psychosociales permettant d’optimiser le fonctionnement dans la vie quotidienne et d’accroître la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence » ou de « maladie d’Alzheimer », qu’elles vivent à domicile ou dans une structure d’hébergement à long terme. Il en va de même pour les mesures de prévention permettant d’atténuer l’importance de leurs problèmes cognitifs et fonctionnels ou d’en différer la survenue. Une revue de la littérature récente sur ces interventions psychologiques, psychosociales et de prévention peut être trouvée dans les deux chapitres que nous avons écrits dans la 2e édition du Traité de Neuropsychologie de l'adulte, Tome 2, concernant les interventions psychosociales dans la « démence » légère/modérée et dans la « démence » sévère.

Il s’agirait d’ailleurs d’arrêter de parler d’interventions non médicamenteuses, comme si leur intérêt ne pouvait se définir qu’en référence aux médicaments (au demeurant non efficaces). Relevons également que des actions devraient aussi être menées à un niveau social et politique (dans différents domaines : environnements de vie, structures sociales, politique sociale et de la santé), afin de favoriser l’engagement social des personnes âgées, les relations interpersonnelles – en particulier intergénérationnelles –, l’accès pour tous aux mesures de prévention et aux moyens d’aide, la réduction de l’isolement et de la pauvreté, etc.

Inventer de nouvelles structures

Il importe d’inventer de nouvelles structures permettant de mettre en place ce changement d’approche. En effet, les consultations mémoire (ou « cliniques mémoire » ou encore « centres mémoire »), dont le nombre n’a cessé de croître, constituent une structure pivot de l’approche biomédicale de la « démence ». Quand elles ont été ouvertes dans les années 1980, leur but principal était de recruter des patients pour entrer dans des essais cliniques sur les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. Elles ont permis d’accroître la consommation de ces produits, lesquels ont fait l’objet d’une intense promotion indiquant qu’ils constituaient un traitement puissant et efficace, malgré l’absence de données convaincantes appuyant leur utilisation. Plus récemment, elles ont eu pour objectif de diagnostiquer les personnes présentant un MCI (trouble cognitif léger) et, de plus en plus fréquemment, de leur prescrire des médicaments « anti-Alzheimer », en dépit de l’absence de données attestant de l’efficacité de ces substances. Enfin, on voit maintenant apparaître, dans certaines consultations, une activité de diagnostic encore plus précoce, visant à repérer, au moyen de biomarqueurs, des personnes présentant une « maladie d’Alzheimer préclinique »  (asymptomatique), avec les risques, les effets négatifs et les coûts financiers qui y sont associés, et sans que des données probantes n’existent quant à l’intérêt d’une telle démarche (voir notre chronique « La détection précoce de la démence : halte à la médicalisation du vieillissement ! »). Ainsi, ces consultations participent à la médicalisation et à la pathologisation croissantes du vieillissement. En outre, la mise en place d’interventions psychosociales ne constitue qu’une part très réduite des activités de la plupart de ces consultations.

Bien que leur utilité soit défendue par certains, il n’existe pas de données solides indiquant que le recours aux consultations mémoire ait des effets bénéfiques. Ainsi, un essai randomisé contrôlé mené aux Pays-Bas par Meeuwsen et collaborateurs (2012) a montré que les consultations mémoire n’étaient pas plus efficaces que les soins standards prodigués par les médecins généralistes. Il faut ajouter que peu d’attention a été prêtée au fait que se rendre dans une consultation mémoire, le plus souvent organisée dans un contexte hospitalier, est susceptible de générer du stress et d’activer les stéréotypes négatifs pour les personnes âgées et leurs proches et contribue à accroître l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie, ce qui, au vu du coût de ces examens, n’est pas sans incidence au niveau des coûts de la santé.

On peut donc légitimement se demander si la création d’un réseau de consultations mémoire spécialisées constitue une stratégie pertinente, ou s’il ne faudrait pas plutôt pas changer de politique afin d’offrir aux personnes âgées présentant un vieillissement cérébral problématique, ainsi qu’à leurs proches, des possibilités d’évaluation, de conseils, d’interventions et de suivi au sein même de leur milieu de vie, c’est-à-dire dans des structures de soins primaires.

Plus spécifiquement, la mise en place de mesures, visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, passe par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Cela suppose la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleurs/euses sociaux/ales, des infirmiers / infirmières, des médiateurs/trices culturel-le-s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre). Il s’agit donc d’envisager la personne dans son cadre de vie élargi, et non plus de la laisser faire face, seule ou presque, à l’annonce d’un diagnostic associé à de terribles perspectives.  

Comme l’indique Woods (2012), le défi le plus important est de favoriser l’engagement des personnes âgées présentant une « démence », au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettront d’interagir avec d’autres (en particulier, dans une perspective intergénérationnelle), de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant. Selon Woods, il s’agit d’entrer dans une ère nouvelle, dans laquelle, au-delà des préoccupations médicales et de soins, nous apprendrons à vivre bien avec la « démence », pour le bénéfice de tous.

Chen, M., & Maleski, J., & Sawmiller, D.R. (2011). Scientific truth or false hope? Understanding Alzheimer’s disease from an aging perspective. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 3-10.

Juillerat Van der Linden, A.C., & Van der Linden, M. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence sévère. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2. Paris : De Boeck / Solal, sous presse.

Meeuwsen, E. J., Melis, R. J. F., Van der Aa, G., Golüke-Willemse, G., De Leest, B., …Olde Rikkert, M. (2012). Effectiveness of dementia follow-up care by memory clinics or general practitioners: randomised controlled trial. British Medical Journal, 344:e3086.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014). Penser autrement le vieillissement. Bruxelles : Mardaga.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.C. (2014). L’évaluation neuropsychologique de la démence: un changement d’approche. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 1. Paris: De Boeck/Solal (pp. 575-598).

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.C. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence légère à modérée. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2. Paris: De Boeck/ Solal, sous presse.

Woods, B., (2012). Well-being and dementia - how can it be achieved? Quality in Ageing and Older Adults, 13, 205-211.

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25 mai 2015 1 25 /05 /mai /2015 17:10

Résumé

Dans cette chronique, nous décrirons plusieurs recherches récentes qui confirment et précisent l’importante hétérogénéité de la "maladie d’Alzheimer" et, plus généralement, du déclin cognitif des personnes âgées. Cette hétérogénéité se manifeste au plan cognitif, avec la mise en évidence, chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer », de différents sous-types de déficits cognitifs (dont certains caractérisés par une préservation de la mémoire épisodique), associés à des caractéristiques démographiques et neurobiologiques distinctes.

Elle s’exprime en outre au plan neuro-anatomique, avec l’identification chez des personnes avec un diagnostic de « maladie d’Alzheimer de sous-types différents d’amincissement cortical (pouvant ne pas affecter les régions temporales internes), également associés à des caractéristiques cliniques spécifiques.

Enfin, l’hétérogénéité s’observe aussi dans les trajectoires du déclin cognitif des personnes âgées et, en particulier, dans le déclin cognitif « résiduel », à savoir celui qui n’est pas expliqué par les caractéristiques neuropathologiques « communes » (substance amyloïde, dégénérescences neurofibrillaires, infarctus cérébraux, corps de Lewy, sclérose hippocampique). Ces variations dans le déclin cognitif « résiduel » paraissent dépendre de différents facteurs psychologiques, neurobiologiques et en lien avec le style de vie.        

Des données de plus en plus nombreuses conduisent à mettre en question la conception essentialiste de la « maladie d’Alzheimer » (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014). Selon cette conception, la « maladie d’Alzheimer » a une cause neurobiologique précise et spécifique (une essence), et est associée à des symptômes spécifiques, qui la distinguent d’autres maladies neurodégénératives et du vieillissement normal. Il s’agit aussi d’une approche catégorielle, qui décrit le vieillissement cérébral et cognitif problématique à partir de catégories de maladies, différentes et spécifiques. Dans cette chronique, nous présenterons plusieurs études récentes qui infirment cette conception essentialiste.

 

L’hétérogénéité cognitive de la « maladie d’Alzheimer »

L’existence de très grandes différences dans la nature des difficultés cognitives présentées par les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » est maintenant largement admise (McKhann et al., 2011). Ainsi, outre des déficits de mémoire (voire sans troubles importants de ce type), les personnes peuvent montrer une grande variété de difficultés cognitives (de perception du monde, de réalisation de gestes, d’organisation des actions, de langage, d’attention).

Dans une étude récente, Scheltens et al. (2015) ont non seulement confirmé cette hétérogénéité cognitive, mais ils ont également montré que les différents patterns cognitifs observés étaient associés à des caractéristiques démographiques et neurobiologiques distinctes. Plus spécifiquement, ils ont effectué une analyse en classes latentes sur les résultats à divers tests neuropsychologiques obtenus auprès d’une série consécutive de 938 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » probable (diagnostic établi selon les critères standards), et ce, en utilisant le score au MMSE comme covariable. Les tests neuropsychologiques auxquels ont été soumises les personnes (dont l’âge moyen était 69 ans) évaluaient la mémoire épisodique, le fonctionnement exécutif, l’attention et le fonctionnement visuo-spatial.

Les analyses ont mis en évidence 8 sous-types (clusters) cognitifs. Deux sous-types (incluant 49% de l’échantillon) étaient caractérisés par des troubles prédominants de la mémoire : un sous-groupe avait un MMSE moyen de 24 (sous-type « Mémoire Léger ») et l’autre un MMSE moyen de 19 (sous-type « Mémoire Modéré »), ce dernier manifestant également des difficultés exécutives. Trois sous-types, incluant 29% de l’échantillon, avaient un fonctionnement mnésique relativement préservé : un sous-type montrait des scores faibles aux tests de langage et visuo-spatiaux (MMSE moyen de 25 ; sous-type « Langage/Visuo-spatial Léger ») ; un sous-type avait principalement des troubles exécutifs et un MMSE moyen de 23 (sous-type « Exécutif Léger ») ; le troisième sous-type avait des déficits marqués dans le domaine visuo-spatial et présentait un MMSE moyen de 19 (sous-type « Visuo-spatial Modéré »). Enfin, trois sous-types, incluant 28% de l’échantillon, n’étaient caractérisés ni par des troubles de mémoire prédominants, ni par un fonctionnement mnésique préservé : un sous-type avait un trouble cognitif global et un MMSE moyen de 21 (sous-type « Diffus Léger) » ; un sous-type avait des déficits diffus, mais manifestait surtout des troubles du langage et avait un MMSE moyen de 20 (sous-type « Langage Modéré ») ; le dernier sous-type avait aussi des troubles cognitifs diffus, mais avec un MMSE moyen de 14 (sous-type « Diffus Sévère »).

Par ailleurs, les analyses ont montré que ces différents sous-types entretenaient des relations spécifiques avec différentes caractéristiques démographiques et neurobiologiques. Ainsi, par exemple, le sous-type « Mémoire Léger » était associé à un âge plus élevé et le sous-type « Mémoire Modéré » à une atrophie plus importante des régions temporales internes. Par ailleurs, les personnes du sous-type « Visuo-spatial Modéré », avec préservation de la mémoire, étaient plus jeunes, avaient un génotype ApoE ε4 négatif et montraient une atrophie postérieure prédominante. Le sous-type « Langage Modéré » était, quant à lui, associé à davantage d’hyperintensités de la substance blanche (suggérant une implication vasculaire) et à des concentrations plus élevées de protéine tau.

Comme le relèvent les auteurs, ces résultats confirment l’extrême complexité et l’importante hétérogénéité de la condition étiquetée « maladie d’Alzheimer », avec la contribution, variable selon les personnes, de différents mécanismes neurobiologiques. Ces données devraient néanmoins être répliquées sur des échantillons plus importants de personnes. De façon intéressante, Peter et al. (2014) ont constaté que les sous-types cognitifs identifiés chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » demeuraient stables avec le temps.

 

« Maladie d’Alzheimer » et hétérogénéité neuro-anatomique

L’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer » se manifeste aussi au plan neuro-anatomique. Ainsi, Noh et al. (2014) ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique en trois dimensions afin d’examiner si la « maladie d’Alzheimer » pouvait être catégorisée en sous-types anatomiques distincts et si ces sous-types étaient associés à des caractéristiques cliniques distinctes. Pour ce faire, ils ont évalué l’épaisseur corticale de 152 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » à un stade précoce (CDR* global de 0.5 ou 1) et les sous-types anatomiques identifiés ont été comparés à un groupe de personnes de contrôle appariées en âge et genre. Les résultats ont montré que les personnes avec un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » peuvent être catégorisées en différents sous-types anatomiques, de 3 à 6 sous-types selon le niveau de catégorisation. Au niveau 3 de catégorisation, les personnes ont été divisées en un sous-type TI (34.2%) « atrophie prédominante temporale interne bilatérale », un sous-type P (18.4%) « atrophie bilatérale des lobes pariétaux, du précuneus, et des régions frontales dorsolatérales bilatérales », et un sous-type D (47.4%) « atrophie diffuse ».

Par ailleurs, il faut relever que les personnes du sous-type P étaient plus jeunes au moment du début des troubles que les personnes des deux autres sous-types, et que la proportion de femmes et d’hommes était quasiment équivalente dans ce sous-type, alors que les femmes étaient plus nombreuses dans les deux autres sous-types. Les personnes du sous-type P avaient moins souvent un génotype ApoE ε4, cette différence n’atteignant cependant pas le seuil de signification. Au plan cognitif, les personnes du sous-type P présentaient davantage de déficits attentionnels, visuo-spatiaux et exécutifs que les deux autres sous-types. Ces personnes, bien que montrant une préservation des régions temporales internes, présentaient aussi des troubles de la mémoire épisodique, lesquels pourraient être la conséquence des troubles attentionnels et exécutifs. Au sein du sous-type P, les personnes avec une atteinte hémisphérique gauche avaient des déficits affectant surtout la dénomination, la mémoire verbale et la fluence verbale, alors que les personnes avec une atteinte hémisphérique droite avaient surtout des déficits affectant les fonctions visuo-spatiales. Quant aux personnes du sous-type TI, elles étaient plus âgées au début des troubles, plus du genre féminin, et plus du génotype ApoE ε4. Le sous-type D possédait des caractéristiques intermédiaires entre les deux autres sous-types.

A nouveau, ces données anatomiques soulignent, cette fois au plan neuro-anatomique, le caractère complexe et hétérogène de la « maladie d’Alzheimer ».

 

Vieillissement et hétérogénéité des trajectoires cognitives

Une hétérogénéité considérable existe également dans les trajectoires cognitives des personnes âgées, certaines personnes déclinant rapidement, d’autres montrant un déclin plus lent, et d’autres encore pouvant demeurer stables pendant un longue période, voire même s’améliorer.

Dans ce contexte, Boyle et al. (2013) ont montré, auprès de 856 personnes âgées décédées, autopsiées et qui avaient été suivies longitudinalement au plan cognitif pendant une période moyenne de 7.5 ans, que les mesures de pathologie globale « Alzheimer », d’accumulation de substance amyloïde, de dégénérescences neurofibrillaires, d’infarctus macroscopiques et de corps de Lewy rendaient compte d’une proportion substantielle des variations inter-individuelles dans le déclin cognitif des personnes âgées (ces mesures expliquaient respectivement 22%, 6%, 34%, 2% et 8% de ces variations). Quand elles étaient prises en compte simultanément, ces mesures pathologiques rendaient compte de 41% de la variation dans le déclin cognitif et, dès lors, la majorité de la variation n’était pas expliquée par ces mesures, suggérant ainsi que d’autres déterminants importants restaient à identifier.

Dans un travail ultérieur issu de la même équipe, Yu et al. (2015) se sont penchés sur l’hétérogénéité du déclin cognitif « résiduel », à savoir les différentes trajectoires du déclin cognitif qui n’est pas expliqué par les caractéristiques neuropathologies communes (substance amyloïde, dégénérescences neurofibrillaires, infarctus cérébraux, corps de Lewy, sclérose hippocampique), et ce, auprès de 876 personnes décédées, autopsiées et qui avaient reçu jusqu’à 19 vagues d’évaluations cognitives. Quatre sous-types distincts de déclin cognitif « résiduel » ont été observés : 44% des personnes ne présentaient que peu ou pas de déclin cognitif « résiduel », à savoir un déclin non expliqué par les caractéristiques neuropathologiques communes ; 35% montraient un déclin modéré; 13% montraient un déclin sévère, et les 8% restants manifestaient des fluctuations intra-individuelles importantes dans les mesures cognitives longitudinales.

Par ailleurs, ces quatre sous-types diffèraient dans les facteurs psychologiques, neurobiologiques et en lien avec le style de vie qui ont été précédemment associés au déclin cognitif. Plus spécifiquement, en comparaison au sous-type de personnes qui montraient peu ou pas de déclin cognitif « résiduel », les personnes qui déclinaient avaient davantage de symptômes dépressifs, étaient plus socialement isolées, étaient moins engagées dans des activités cognitives ou physiques, et avaient une densité moindre de neurones noradrénergiques dans le locus ceruleus.

Ces résultats indiquent en quoi il paraît essentiel de mieux comprendre les mécanismes qui, au-delà des changements pathologiques communs, sont impliqués dans le déclin cognitif manifesté par certaines personnes âgées.

 

Conclusion

Ces études récentes ne font que renforcer le point de vue de Chételat (2013) selon lequel la conception unitaire de la « maladie d’Alzheimer » en tant que maladie caractérisée par une trajectoire pathologique unique et spécifique est progressivement remplacée par une vision plus complexe qui envisage cette « maladie» comme une condition plurifactorielle, sous-tendue par plusieurs processus pathologiques partiellement indépendants, interagissant les uns avec les autres selon des organisations séquentielles variées et subissant l’influence de divers facteurs de risque à la fois communs et spécifiques.

D’autres auteurs (p. ex., Chen et al., 2011 ; Herrup, 2010 ; voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014) ont par ailleurs fait un pas supplémentaire en considérant qu’il fallait réintégrer la « maladie d’Alzheimer », mais aussi les autres maladies neurodégénératives, dans le cadre plus général du vieillissement cérébral, en prenant en compte la multiplicité et le caractère probabiliste des facteurs qui, tout au long de la vie, modulent l’évolution du déclin cognitif.

* Clinical Dementia Rating, échelle destinée à quantifier, via un entretien structuré portant sur diverses capacités cognitives dans la vie quotidienne, l’importance de l’affection « démentielle ".

"Hétérogénéité", travail d'un élève de 6e du collège A. Camus de Frontenay-Rohan-Rohan

"Hétérogénéité", travail d'un élève de 6e du collège A. Camus de Frontenay-Rohan-Rohan

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Scheltens, N. M. E., Galindo-Garre, F., Pijnenburg, Y. A. L., van der Vlies, A., Smits, L. L., Koen, T., … van der Flier, W. M. (2015). The identification of cognitive subtypes in Alzheimer’s disease dementia using latent class analysis. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, sous presse.

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9 juin 2014 1 09 /06 /juin /2014 19:51

Résumé

Nous avons déjà vu dans nos chroniques que plusieurs facteurs psychologiques semblent être impliqués dans le développement d’une « démence », tels que le stress et la détresse psychologiques, la dépression, le fait de ne pas avoir de but dans la vie ou une existence qui n’a pas de sens, ou encore le sentiment perçu de solitude. Deux études récentes ont apporté de nouveaux éléments appuyant la contribution des facteurs psychologiques dans l’installation d’une « démence » ou d’un déclin cognitif.

Ainsi, dans une étude ayant suivi des personnes âgées pendant une période moyenne de 8,4 ans Neutonen et al. (2014) ont montré qu’un niveau élevé de méfiance (ou d’hostilité) cynique, à savoir un trait de personnalité caractérisé par la croyance selon laquelle les autres sont principalement guidés par des motivations égoïstes, est associé à un risque accru de « démence », et ce après avoir pris en compte l’influence de divers facteurs de risque potentiellement confondants (vasculaires, socio-économiques et en lien avec le style de vie).

Par ailleurs, Lineweaver et al. (2014) ont montré, chez des personnes âgées cognitivement normales, que le fait de connaître qu’elles étaient porteuses de l’allèle e4 du gène de l’ApoE (le prédicteur génétique le plus important du risque de développer une « maladie d’Alzheimer ») pouvait influer négativement sur l’évaluation subjective du fonctionnement de leur mémoire et sur leur performance à un test de mémoire verbale. Ces données confirment ainsi que les difficultés cognitives dans le vieillissement ne sont pas simplement le résultat de lésions cérébrales prétendues ou avérées, mais qu’elles découlent aussi, notamment, des croyances que la personne âgée a sur elle-même et sur son fonctionnement cognitif.

Au vu de l’importance qu’ont les facteurs psychologique pour le vieillissement cognitif et cérébral (en particulier, le sentiment que la vie a un sens, le sentiment d’être inséré socialement, une vision positive d’autrui), il paraît essentiel de mettre en place des mesures visant à accroître l’engagement actif des personnes âgées dans des activités (éducatives, sociales, familiales, etc.) ayant une signification personnelle et leur permettant d’interagir positivement avec autrui.

 

Il a été montré que différents facteurs psychologiques sont associés au développement d’un vieillissement cérébral et cognitif (d’une « démence »),  notamment le stress, la détresse psychologiques, et un haut niveau de neuroticisme, à savoir un trait de personnalité caractérisé par l’expérience chronique d’émotions négatives (voir la chronique « Le stress psychologique : un facteur – clé du vieillissement cérébral et cognitif ? »), la dépression (voir la chronique « Dépression et risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique »), le fait de ne pas avoir de but dans la vie et une existence qui n’a pas de sens (voir la chronique « Des buts dans la vie et une existence qui a un sens réduisent le risque de vieillissement problématique »), ou encore le sentiment perçu de solitude (voir la chronique « La qualité perçue des relations sociales réduit le risque de démence ».

Deux études récentes apportent de nouveaux éléments concernant le rôle joué par les facteurs psychologiques dans l’apparition d’un déclin cognitif et/ou fonctionnel chez les personnes âgées.

Méfiance cynique et « démence »

La méfiance (ou hostilité) cynique, à savoir un trait de personnalité caractérisé par la croyance selon laquelle les autres sont principalement guidés par des motivations égoïstes, a été associée à différents problèmes de santé (tels que des problèmes cardio-vasculaires), et ce notamment par l’intermédiaire de processus inflammatoires.

Dans cette perspective, Neuvonen et al. (2014) ont exploré la relation entre la méfiance cynique et, d’une part, la survenue d’une démence (auprès de 622 personnes âgées, suivies pendant une durée moyenne de 8,4 ans) et, d’autre part, la mortalité (auprès de 1146 personnes âgées, suivies pendant une durée moyenne de 10,4 ans). Ces personnes, issues de la population générale, avaient, lors de l’évaluation initiale, un âge moyen d’environ 71 ans (entre 65 et 79 ans).

La méfiance cynique a été évaluée par la « Cynical Distrust Scale », un questionnaire composé de 8 items, tels que « Il est plus sûr de ne pas faire confiance aux gens » ou « La plupart des gens se font des amis parce que ces derniers sont susceptibles de leur être utiles ». La mise en évidence d’une « démence » a été réalisée à partir d’un examen clinique approfondi (incluant un examen neurologique et neuropsychologique, un examen par imagerie cérébrale, ainsi que des examens de laboratoire). Les analyses ont contrôlé l’influence possible de l’âge, du genre, de la tension artérielle systolique, du cholestérol total, de la tolérance au glucose, de l’indice de masse corporelle, du statut socio-économique, du tabagisme, de la consommation d’alcool, de l’état de santé auto-évalué et du génotype ApoE.

Les résultats ont montré qu’un haut niveau de méfiance cynique est associé à un taux de mortalité plus élevé, mais que cette association était complètement expliquée par le statut socio-économique (niveau scolaire), le style de vie et l’état de santé. Par contre, un niveau élevé de méfiance cynique est associé à un risque accru de « démence », et ce après avoir pris en compte l’influence des divers facteurs de risque potentiellement confondants (vasculaires, socio-économiques et en lien avec le style de vie). Cette association n’était pas non plus totalement expliquée par la présence de symptômes dépressifs.

Ainsi, la conception que les personnes âgées ont du monde et des autres semble pouvoir influer sur leur déclin cognitif et fonctionnel. Cependant, même s’ils ont exclu les personnes âgées qui avaient une « démence » lors de l’évaluation initiale de la méfiance cynique, les auteurs reconnaissent qu’ils ne peuvent pas totalement exclure l’hypothèse de la causalité inverse, selon laquelle la méfiance cynique serait la conséquence d’une « démence » à un stade prodromique. Ces données nécessitent donc d’être répliquées sur un échantillon plus important et avec une période de suivi plus longue. Il serait également intéressant d’examiner la contribution respective d’une méfiance cynique de longue durée (durant une grande partie de la vie), versus d’une méfiance cynique acquise plus tardivement.

L’effet de l’annonce du génotype ApoE sur la performance mnésique ultérieure

Autre élément susceptible d’infléchir le déclin cognitif, la connaissance de son statut de porteur ou non de l’allèle e4 du gène de l’apolipoprotéine E (ApoE, une protéine transporteuse de lipides, impliquée dans le maintien des membranes des cellules nerveuses) : il est actuellement admis que la présence de cet allèle e4, localisé sur le chromosome 19, constitue le prédicteur génétique le plus important du risque de développer une maladie d’Alzheimer chez la personne âgée.

Dans une étude observationnelle rétrospective, Lineweaver et al. (2014) ont examiné, chez des personnes âgées cognitivement normales, dans quelle mesure le fait de connaître qu’elles étaient porteuses de l’allèle à risque pouvait influer ultérieurement sur l’évaluation subjective de leur mémoire et sur leur performance à des tests de mémoire. Pour ce faire, ils ont administré des tests de mémoire (visuelle et verbale) et des questionnaires d’auto-évaluation de la mémoire à 144 personnes âgées de 52 à 89 ans et dont le génotype ApoE a été identifié, parmi lesquelles :

-      - des personnes qui ont été informées de leur statut génotypique (25 personnes avec un statut e4 positif et 49 avec un statut e4 négatif) ;

-       - des personnes qui n’ont pas été informées de leur statut génotypique (25 personnes avec un statut e4 positif et 45 avec un statut e4 négatif.

Les résultats ont mis en évidence que les personnes âgées qui avaient pris connaissance de leur statut génotypique e4 positif avaient des évaluations subjectives de leur mémoire plus négatives et obtenaient des performances mnésiques plus mauvaises au test de mémoire verbale que les personnes âgées qui avaient un statut génotypique e4 positif et qui n’en avaient pas été informées. Par contre, les personnes âgées qui connaissaient leur statut génotypique e4 négatif avaient des évaluations subjectives de leur mémoire plus positives que les personnes âgées qui avaient un statut génotypique e4 négatif et qui n’en ont pas été informées. Cependant, ces deux derniers groupes de personnes ne se distinguaient pas dans leur performance mnésique objective. Notons enfin que les personnes âgées qui avaient un statut génotypique e4 positif et qui n’en ont pas été informées ne montraient ni des évaluations subjectives de leur mémoire plus négatives ni des performances mnésiques plus faibles que les personnes âgées qui avaient un statut génotypique e4 négatif et qui n’en ont pas été informées.  

Il faut également relever qu’aucune différence n’a été observée entre les personnes qui connaissaient ou non leur statut génotypique e4 positif ou négatif à la « Geriatric Depression Scale », ni pour l’âge, le niveau scolaire, la répartition selon le genre ou le fonctionnement cognitif global (MMSE, « Dementia Rating Scale »).

Les auteurs interprètent ces résultats en suggérant que le fait, pour les personnes âgées, de savoir qu’elles sont à risque de développer une « maladie d’Alzheimer » amènerait à des croyances négatives sur leurs capacités mnésiques, ce qui induirait un effort moindre (ou une moindre allocation de temps) dans la réalisation des tâches de mémoire, lesquelles étant perçues comme difficiles. Dans cette perspective, de nombreuses données montrent que les croyances négatives concernant le vieillissement peuvent avoir des effets néfastes sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées (voir les chroniques « Le vieillissement en tant que construction sociale : le rôle des stéréotypes » et « Les stéréotypes négatifs concernant le vieillissement et les attentes relatives aux déficits cognitifs liés à l’âge : une source dramatique d’erreur diagnostique »). Cette interprétation en termes de croyances est aussi appuyée par le fait que, sur l’ensemble des personnes âgées examinées, des corrélations significatives ont été observées entre les évaluations subjectives de la mémoire et les performances mnésiques objectives.

Une limite de ce travail tient dans le fait que, dans le groupe informé de son statut génotypique, les personnes ont toutes accepté de recevoir cette information, alors que, dans le groupe non informé, la majorité des personnes n’ont pas reçu cette option (elles faisaient partie d’une étude dans laquelle le statut génotypique n’était pas révélé) : ainsi, les personnes ayant accepté d’être informées pourraient avoir été plus préoccupées par leur mémoire (notons néanmoins qu’elles sont parfaitement appariées aux personnes non informées au niveau des caractéristiques sociodémographiques et des capacités cognitives globales). Par ailleurs, même si les personnes avec un statut génotypique e4 positif et négatif ne différaient pas dans leur fonctionnement cognitif global, il se pourrait que des différences subtiles aient pu apparaitre si une évaluation cognitive plus détaillée avait été réalisée. De plus, l’effet de la connaissance du génotype sur la performance objective s’observe au test de mémoire verbale, mais pas au test de mémoire visuo-spatiale : des travaux ultérieurs devraient examiner si cette dissociation est une donnée fiable. Enfin, il s’agirait de réexaminer cette question sur un plus grand nombre de participants afin de s’assurer d’une absence de biais d’échantillonnage.

En dépit de ces limites, cette étude suggère que le fait d’informer des personnes âgées qu’elles ont un génotype associé à un risque accru de « maladie d’Alzheimer » peut avoir des conséquences négatives sur la perception qu’elles ont du fonctionnement de leur mémoire et sur leur performance à des tests de mémoire. Des conséquences similaires pourraient être attendues si d’autres indicateurs de risque accru de « maladie d’Alzheimer » étaient révélés (p. ex., les mesures de biomarqueurs obtenues par imagerie cérébrale ou analyse du liquide céphalo-rachidien). Par ailleurs, l’annonce du génotype e4 positif (ou d’autres marqueurs biologiques) peut avoir un impact clinique important : en effet, ayant induit une évaluation plus négative de la mémoire et des performances mnésiques plus faibles, elle peut conduire à un diagnostic erroné (un faux positif) de « démence » ou de « trouble cognitif léger (mild cognitive impairment, MCI) ». Ainsi, les cliniciens devraient prendre en compte la connaissance qu’ont les personnes de leur génotype (ou d’autres biomarqueurs) quand ils évaluent des personnes âgées qui peuvent ou non être à risque de développer une « démence ».

De façon plus générale, ces données confirment que les difficultés cognitives associées au vieillissement ne sont pas simplement le résultat de lésions cérébrales prétendues ou avérées, mais qu’elles découlent aussi, notamment, des croyances que les personnes âgées ont sur elles-mêmes et sur leur fonctionnement cognitif (voir Karlawish & Green 2014).

Enfin, il faut rappeler que le diagnostic précoce ou, plus spécifiquement, l’annonce de la présence de biomarqueurs de la « démence » sont loin de faire l’unanimité (voir la chronique « La détection précoce de la " démence " : Halte à la médicalisation du vieillissement ! »). Au vu du caractère tellement incertain des informations que ces biomarqueurs fournissent quant à la prédiction d’un déclin cognitif et son évolution, en informer les personnes âgées ne peut pas être réellement justifié en invoquant la possibilité qui leur est offerte de planifier leur futur en connaissance de cause. Cela  ne peut pas non plus être justifié en considérant les bénéfices que pourraient tirer les personnes âgées d’un traitement pharmacologique ou d’une intervention cognitive. En effet, il n’y a pas actuellement de données solides indiquant qu’un traitement pharmacologique ou qu’un entraînement cognitif puisse réduire l’incidence de troubles cognitifs chez des personnes cognitivement normales ou le développement d’une « démence » chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « trouble cognitif léger (MCI) ». Relevons également qu’il n’est nul besoin de disposer d’un diagnostic de « MCI » ou des informations fournies par d’éventuels marqueurs biologiques pour encourager la mise en place de mesures de prévention (en lien avec les facteurs de risque vasculaires, l’activité physique, l’engagement social, les activités cognitives stimulantes, la réduction du stress, l’influence des stéréotypes, la vision négative des autres, etc.) visant à différer et/ou atténuer les manifestations problématiques du vieillissement cérébral/cognitif.

Quelques nouvelles du front de résistance des personnes âgées !

Au vu du rôle important qu’ont les facteurs psychologique dans le vieillissement cognitif et cérébral (en particulier, le sentiment que la vie a un sens, le sentiment d’être inséré socialement, une vision positive d’autrui), il paraît essentiel de mettre en place des mesures visant à faciliter l’engagement actif des personnes âgées dans des activités (éducatives, sociales, familiales, etc.) ayant une signification personnelle et leur permettant d’interagir positivement avec autrui  (voir à ce propos certaines des actions menées par l’association Valoriser et Intégrer pour Vieillir Autrement sur le blog http://association-viva.overblog.com).

Un épisode récent, largement relayé par la presse, fournit une illustration éloquente de l’engagement et de la détermination d’une personne âgée, qui a pu braver les obstacles auxquels elle était confrontée.

Alors que se sont déroulées, ce vendredi 6 juin 2014, les commémorations du 70e anniversaire du débarquement de Normandie, on apprenait qu’un ancien officier de la Royal Air Force, Bernard Jordan (âgé de 89 ans et ancien maire de la ville de Hove) s’était échappé de sa maison de retraite, jeudi 5 au matin, avec ses médailles cachées sous son imperméable, pour rejoindre un bus amenant ses anciens camarades en Normandie (lien).

Selon les dires d’un responsable de la maison de retraite, une invitation aurait été demandée pour que Monsieur Jordan puisse se rendre en Normandie, mais cela lui aurait été refusé en raison d’une demande tardive, refus qu’il a décidé de braver, avec succès. Le personnel de la maison de retraite a donné l’alerte jeudi en début de soirée et, après diverses recherches entreprises par la police anglaise, Monsieur Jordan a finalement été localisé en Normandie, sain et sauf, au milieu de ses camarades du débarquement. Un de ceux-ci a téléphoné à la maison de retraite pour leur indiquer que le pensionnaire se portait bien et qu’il rentrerait en toute sécurité une fois les cérémonies terminées. Après 7 heures de traversée, il est rentré dans sa maison de retraite, en étant, selon la directrice, très fatigué, devant reprendre des forces et rester au repos. Bernard Jordan a quant à lui indiqué : « J’ai passé un très bon moment. Je suis vraiment content de l’avoir fait ». Et d’ajouter : « Je sais que je vais maintenant devoir affronter les conséquences ».

Il y a là une belle illustration de la capacité de résistance et de la détermination que peuvent manifester les personnes âgées, tout particulièrement lorsque celles-ci se sont caractérisées toute leur vie durant par un sens aigu de l’engagement (voir également la chronique « Quand la résistance et l’engagement viennent des plus âgés ! »)...       


Jordan.jpg

Bernard Jordan, vétéran anglais du D-Day, "évadé" et engagé. Photo tirée de TF1


Karlawish, J., & Green, R.C. (2014). Mindings the aging brain: Are we ready for personalized medicine ? American Journal of Psychiatry, 171, 137-139.

Linewear, T.,T., Bondi, M.W., Galasko, D., & Salmon, D.P. (2014). Effect of knowledge of APOE genotype on subjective and objective memory performance in healthy older adults. American Journal of Psychiatry, 171, 201-208.

Neuvonen, E., Rusanen, M., Solomon, A., Ngandu, T., Laatikainen, T., Soininen, H., Kivipelto, M., & Tolppanen, A.-M. (2014). Late-life cynical distrust, risk of incident demential, and mortality in a population-based cohort. Neurology, sous presse.

  

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29 septembre 2013 7 29 /09 /septembre /2013 22:27

Résumé


Dans un texte incisif récemment publié dans le « British Medical Journal », quatre spécialistes des domaines de la gériatrie, de l’épidémiologie et de la santé publique (Le Couteur, Doust, Creasey, & Brayne, 2013) ont clairement mis en question les politiques publiques incitant à dépister les états de « pré-démence », en indiquant en quoi ces incitations ne reposaient pas sur des données empiriques probantes et ignoraient les méfaits pouvant y être associés.

Les auteurs montrent notamment en quoi on est passé d’une conception selon laquelle les personnes âgées manifestant des difficultés cognitives légères étaient considérées comme ayant des problèmes bénins et liés à l’âge à une conception selon laquelle ces personnes ont, ou progresseront inévitablement vers, une « maladie ». Dans la ligne de ce que nous avons fréquemment mentionné dans notre blog, ils mettent également en avant les différents problèmes liés à l’expansion des consultations-mémoire, à l’adoption du concept catégoriel de « MCI » (« Mild Cognitive Impairment » ou Trouble Cognitif Léger), ainsi qu’à l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie à des fins de diagnostic précoce de la « maladie d’Alzheimer préclinique » (asymptomatique).

Par ailleurs, ils indiquent en quoi le recours au concept de « MCI » ou aux biomarqueurs ne peut se justifier en invoquant la possibilité offerte aux personnes âgées de planifier leur futur en connaissance de cause, ni en considérant les bénéfices que pourraient tirer ces personnes d’un traitement.

Enfin, ils relèvent les risques, effets négatifs et coûts financiers du dépistage et diagnostic précoces, les intérêts économiques et commerciaux considérables qui y sont associés et aussi le fait que les ressources qui y sont consacrées sont autant de ressources qui ne seront pas disponibles pour l’amélioration des soins et de la qualité de vie des personnes présentant une « démence » avancée.

Introduction

Nous avons maintes fois indiqué en quoi l’adoption du concept de « Mild Cognitive Impairment » (MCI ; « Trouble Cognitif Léger ») ainsi que l’utilisation des biomarqueurs, dans le cadre d’une démarche de diagnostic précoce de la « démence », conduisaient à une pathologisation croissante et illégitime du vieillissement, avec toutes les conséquences négatives qui peuvent y être associées : stigmatisation, anxiété/dépression/honte, modification dans les relations familiales, isolement social, déclassement professionnel, difficultés auprès des assureurs, consommation accrue de médicaments,  etc. (voir nos chroniques « Le trouble cognitif léger (ou MCI): une flagrante myopie intellectuelle » ; « La pathologisation du vieillissement cognitif est en marche ! » ; « Pour en finir avec le diagnostic catégoriel de MCI » ; « L’empire Alzheimer ne désarme pas !).

Dans un texte incisif récemment publié dans le « British Medical Journal » (Le Couteur, Doust, Creasey, & Brayne, 2013), quatre spécialistes des domaines de la gériatrie, de l’épidémiologie et de la santé publique ont clairement mis en question les politiques publiques incitant à dépister les états de « pré-démence », en indiquant en quoi ces incitations ne reposaient pas sur des données empiriques probantes et ignoraient les méfaits pouvant y être associés. Il nous est apparu utile de présenter de façon détaillée les arguments contenus dans ce texte au titre ô combien explicite : « Too much medicine. Political drive to screen for pre-dementia: not evidence based and ignores the harms of diagnosis ». Dans certains cas, nous renforcerons l’argumentation des auteurs en renvoyant à des études récentes, non mentionnées dans leur texte, et nous décrirons également de façon plus détaillée l’une ou l’autre des recherches identifiées dans leur article.

Les auteurs partent du constat que des politiques gouvernementales récentes ont appelé au dépistage systématique de la démence et du « MCI ». Ainsi, aux Etats-Unis, dans le cadre d’une loi qui a réformé les soins de santé, l’assurance Medicare couvrira une visite annuelle de « bien-être » chez un médecin, incluant la détection d’un trouble cognitif ou de tout changement mesurable dans les capacités cognitives. En Angleterre, le gouvernement a annoncé qu’il récompenserait les médecins généralistes (d’environ 4200 Euros par an et par cabinet) pour évaluer les personnes âgées de plus de 75 ans, ainsi que celles de plus de 60 ans appartenant à des groupes à risque (celles ayant une maladie vasculaire établie ou un diabète).

Le gouvernement anglais s’est également engagé à ce qu’il y ait une consultation-mémoire dans chaque ville de moyenne à grande importance, notamment pour accroître le diagnostic précoce. Et pourtant, comme le signalent Le Couteur et ses collègues, il n’existe pas de données solides indiquant que le recours aux consultations-mémoire ait des effets bénéfiques. Quand elles furent introduites durant les années 1980, leur but principal était de recruter des patients pour entrer dans des essais cliniques sur les inhibiteurs de la cholinestérase. Elles furent ensuite utilisées pour accroître la consommation de ces produits, lesquels ont fait l’objet d’une intense promotion indiquant qu’ils constituaient un traitement puissant et efficace et ce, en dépit de l’absence de données convaincantes appuyant leur utilisation.

Dans ce contexte, peu d’attention a été prêtée au fait que se rendre dans une consultation-mémoire génère du stress pour les personnes âgées et leurs proches et contribue à accroître l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie. Bien que certains défendent l’utilité des consultations-mémoire, un essai randomisé contrôlé mené aux Pays-Bas par Meeuwsen et al. (2012) a montré que ces consultations n’étaient pas plus efficaces que les soins standards prodigués par les médecins généralistes. Plus spécifiquement, les auteurs ont comparé des personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » légère et modérée (ainsi que leur proche) qui étaient suivies, soit dans une consultation-mémoire, soit par le médecin généraliste. Après un suivi de 12 mois, les résultats ne permettaient pas de conclure à une efficacité plus importante des consultations-mémoire concernant la qualité de vie des personnes avec une « démence ». Le suivi par les généralistes semble même avoir un petit effet bénéfique sur l’anxiété et l’état d’humeur des proches aidants (voir également notre chronique « Une autre façon d’organiser les cliniques de la mémoire ? »).  

Un changement de terminologie traduisant un changement d’approche

La focalisation sur le diagnostic précoce, et en particulier sur l’identification du « Trouble Cognitif Léger (MCI) », découle du postulat selon lequel les personnes présentant une « démence » ont une « maladie » qui progresse durant une période où les symptômes sont initialement légers et où un traitement serait plus efficace.

Historiquement, les personnes âgées manifestant des difficultés mnésiques ou cognitives légères étaient considérées comme ayant des problèmes bénins et liés à l’âge. Comme le mentionnent Le Couteur et al., on parlait ainsi de « Benign senescent forgetfulness », « Age-associated memory impairment », « Late life forgetfulness », « Age consistent memory impairement » ou de « Age associated cognitive decline ». Cependant, ces 15/20 dernières années, un changement de terminologie et de conceptualisation a conduit à considérer que ces personnes avaient une maladie ou un état qui progresserait inévitablement vers une « maladie démentielle ». Ainsi, ont été utilisés les concepts de « Mild cognitive impairment », « Cognitive impairement no dementia », « Prodromal Alzheimer’s disease », « Pre-clinical Alzheimer’s disease » et, dans le nouveau DSM-5, de « Minor neurocognitive disorder ».

Ces changements terminologiques vont ainsi conduire à un sur-diagnostic, puisqu’ils permettent de considérer des personnes asymptomatiques comme ayant une « maladie d’Alzheimer » ou une « démence » pré-symptomatique.

Mise en question de la validité prédictive du « MCI »

Il faut rappeler que seuls 5 à 10 % des personnes ayant reçu un diagnostic de « Trouble Cognitif Léger (MCI) » progresseront annuellement vers une « démence » et que 40 à 70% de ces personnes n’évolueront pas vers une « démence » ou verront même leur fonctionnement cognitif s’améliorer (voir nos chroniques « Le trouble cognitif léger : une flagrante myopie intellectuelle » et « Pour en finir avec le diagnostic catégoriel de MCI »). Dans une étude récente ayant suivi pendant 2 ans des personnes qui avaient reçu un diagnostic de « MCI » et de « maladie d’Alzheimer », Song et al. (2013) ont confirmé l’existence d’une amélioration du fonctionnement cognitif chez certaines personnes avec, en parallèle, une amélioration au plan des atteintes cérébrales. Il est intéressant de relever qu’aucune des personnes « MCI » chez qui une amélioration cérébrale a été observée n’a présenté de « démence » durant le suivi de 24 mois.

 Il existe également des données indiquant que beaucoup de personnes ayant développé une « démence » n’ont pas, préalablement, manifesté les critères de « MCI ». En outre, il a été observé que le développement d’une « démence » était plus élevé chez les personnes qui n’avaient pas les symptômes de « MCI » que chez celles que les présentaient (Stephan et al., 2008).

Notons que l’utilisation de tests cognitifs dans le contexte d’un diagnostic de « MCI » (voire de « démence ») peut conduire à des erreurs fréquentes de diagnostic. Rappelons que, pour correspondre au diagnostic de « MCI », les scores aux tests cognitifs doivent se situer à 1 ou 1.5 écart-type (ET) en dessous de la moyenne des performances de personnes appariées en âge et niveau scolaire. Dans ce contexte, il faut relever qu’il est fréquent d’observer une performance faible à un test cognitif chez des personnes normales, et ce d’autant plus qu’on leur administre un plus grand nombre de tests. Ainsi, par exemple, Brooks, Iverson, Holdnack et Feldman (2008) ont observé que, dans un échantillon de personnes âgées de 55 à 87 ans (issues de l’échantillon utilisé pour l’étalonnage de l’Echelle de Wechsler Mémoire, WMS-III), 26% des personnes obtenaient un ou plusieurs scores de mémoire (parmi les 8 scores examinés) égaux ou inférieurs au centile 5 (c’est-à-dire -1.5 ET). Quand les scores étaient ajustés selon les caractéristiques démographiques (genre, ethnicité, éducation), 39% des personnes obtenaient un score égal ou inférieur au centile 5. Les raisons sous-jacentes à cette variabilité sont bien sûr nombreuses : les erreurs de mesure, la présence de faiblesses éducatives anciennes dans certains domaines, une fluctuation dans la motivation, la fatigue ou l’inattention, l’anxiété et les inquiétudes (et les tentatives de les supprimer), le stress, la dépression et les ruminations, les troubles du sommeil, les médicaments, les croyances et stéréotypes négatifs sur le fonctionnement cognitif lié à l’âge, etc. (voir notre chronique « Les stéréotypes négatifs concernant le vieillissement et les attentes relatives aux déficits cognitifs liés à l’âge : une source dramatique d’erreurs diagnostiques »).

S’’interrogeant plus avant sur les conséquences de l’encouragement à un diagnostic plus répandu et plus précoce de la « démence », Le Couteur et al. (2013) mentionnent une méta-analyse menée par Mitchell, Meader et Pentzek (2011) qui a examiné la capacité des médecins généralistes de reconnaître des difficultés cognitives (allant du « MCI » à la « démence sévère ») en utilisant leur jugement clinique dans la pratique courante. Cette étude révèle que si un(e) clinicien(ne) voit consécutivement 100 personnes issues de la communauté (en estimant la prévalence de la « démence à 6 %), il/elle identifiera (sur base des critères actuels) correctement 4 cas sur les 6 ayant une « démence », mais identifiera incorrectement la « démence » chez 23 autres personnes !

L’utilisation de la neuroimagerie et des biomarqueurs à des fins de diagnostic précoce

Dans la mesure où les méthodes cliniques ne peuvent pas détecter de façon fiable les personnes qui vont développer une « démence », il a été suggéré d’utiliser, à des fins diagnostiques, l’analyse du liquide céphalo-rachidien (LCR) et les techniques de neuroimagerie afin de détecter les dépôts de substance amyloïde et un niveau élevé de protéine tau dans le liquide céphalo-rachidien, ainsi que les atteintes cérébrales (atrophie et hypométabolisme dans les régions cérébrales considérées comme typiques de la « maladie d’Alzheimer » ). Dans ce contexte, les personnes avec des symptômes de « démence » et des biomarqueurs positifs (une positivité amyloïde, un niveau élevé de tau et des signes d’atteintes cérébrales caractéristiques) seraient considérés comme ayant une « maladie d’Alzheimer » prouvée, alors que les personnes asymptomatiques (sans problèmes cognitifs) présentant des biomarqueurs positifs auraient une « maladie d’Alzheimer préclinique » (pour une présentation détaillée et critique de ces propositions, voir notre chronique « L’empire Alzheimer ne désarme pas »).

Il faut tout d’abord relever qu’environ 65% des personnes âgées de plus de 80 ans ont une positivité  amyloïde  (révélée par l’imagerie) et pourraient donc être diagnostiquées comme ayant une « maladie d’Alzheimer » ou une « pré-maladie d’Alzheimer ». De plus, au plan neuropathologique, la plupart des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » présentent, outre des plaques séniles (plaques amyloïdes)  et des dégénérescences neurofibrillaires, d’autres types de changements neuropathologiques, notamment des atteintes vasculaires de différents types. Il apparaît dès lors que différents mécanismes sont très vraisemblablement impliqués dans cet état étiqueté de « maladie d’Alzleimer » (voir, p. ex., notre chronique « Le vieillissement cérébral/cognitif problématique est associé à de multiples anomalies neuropathologiques »).

Ces données ont fait dire à Richards et Brayne (2010) que : « Dans sa forme la plus fréquente, à survenue tardive, le terme de maladie d’Alzheimer ne renvoie vraisemblablement pas à une entité neuropathologique discrète, mais à un syndrome clinique diffus qui représente l’accumulation de pathologies multiples résultant de facteurs de risque tout au long de la vie » (voir notre chronique « Quand d’autres voix s’élèvent pour mettre en question le concept de maladie d’Alzheimer »). Notons également que, chez les personnes au-delà de 85 ans, la prévalence de la pathologie de type « Alzheimer » (plaques amyloïdes et dégénérescences neurofibrillaires) devient similaire, que les personnes aient ou non les caractéristiques de la « démence ».

Des données récentes ont aussi mis en évidence la prévalence importante des atteintes vasculaires chez les personnes âgées présentant des « troubles cognitifs légers ». Ainsi, Stephan et al (2012) ont exploré les profils neuropathologiques (plaques séniles et dégénérescences neurofibrillaires, atrophie corticale et hippocampique, pathologies vasculaires) de personnes âgées issues de la communauté et décédées sans « démence », avec trois niveaux différents de capacités cognitives (établis sur base du MMSE) : pas de difficultés cognitives, difficultés cognitives légères et difficultés cognitives modérées. Cette étude a tout d’abord montré que des changements neuropathologiques étaient présents, en l’absence de « démence », chez la plupart des personnes des trois groupes (y compris, donc, chez celles qui n’avaient pas de difficultés cognitives). Les auteurs ont également observé que les personnes âgées « non démentes » présentant des difficultés cognitives légères avaient un risque accru de pathologies vasculaires (incluant des lacunes et une maladie des petits vaisseaux), mais pas de pathologie dite « Alzheimer » (plaques séniles et dégénérescences neurofibrillaires). De plus, ils ont constaté que la présence de problèmes cognitifs plus importants (problèmes cognitifs modérés) était associée à un pattern de changements pathologiques plus étendu, incluant des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires, de l’atrophie corticale et hippocampique, ainsi que des pathologies vasculaires (maladie des petits vaisseaux, lacunes et infarctus).

Plus récemment, Marchant et al. (2013) ont, eux aussi, constaté la prévalence élevée de pathologies cérébrovasculaires (infarctus et hyperintensités de la substance blanche) chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « MCI », ces pathologies affectant tous les domaines cognitifs évalués (fonctions exécutives, mémoire verbale, mémoire non verbale). Par ailleurs, la présence de bêta-amyloïde (identifiée par imagerie cérébrale : « PiB positivity ») ne constituait pas un prédicteur significatif de la cognition et n’interagissait pas avec les atteintes vasculaires.

En outre, une étude récente réalisée par Knopman et al. (2013) a mis en question les critères de la « maladie d’Alzheimer préclinique » (une étude précédemment décrite dans notre chronique « Une mise en question des critères de la maladie d’Alzheimer préclinique »). Les auteurs ont comparé des personnes âgées cognitivement normales (asymptomatiques), mais ayant une positivité amyloïde et des signes d’atteintes neuronales (personnes considérées comme ayant une « maladie d’Alzheimer préclinique ») et des personnes également asymptomatiques, avec des atteintes neuronales, mais sans positivité amyloïde (personnes considérées comme ayant une pathologie non-Alzheimer ou SNAP : « Suspected Non-AD Pathology ».)  En considérant que les personnes du groupe « maladie d’Alzheimer préclinique » devaient présenter des caractéristiques spécifiques, et dans la mesure où les processus physiopathologiques non-Alzheimer les plus fréquents sont les troubles cérébrovasculaires et l’alpha-synucléinopathie (accumulation d’alpha-synucléine s’agrégeant pour former des corps de Lewy), les auteurs s’attendaient à observer des différences entre les deux groupes, en particulier sur les mesures de ces deux dimensions physiopathologiques (atteintes vasculaires et alpha-synucléinopathies). En fait, aucune différence n’a été observée entre les personnes du groupe SNAP et les personnes du groupe « maladie d’Alzheimer préclinique » sur les mesures de biomarqueurs en neuroimagerie (volume hippocampique, métabolisme cérébral dans les régions censées signer la maladie d’Alzheimer, volumétrie corticale et métabolisme régional du glucose pour toutes les régions corticales), sur les marqueurs cérébraux d’atteintes cérébrovasculaires, sur les facteurs de risque vasculaires (tabagisme, diabète et hypertension) et sur les caractéristiques cérébrales et cliniques des alpha-synucléinopathies.

Comme l’a relevé Chételat (2013), ces résultats contredisent le modèle selon lequel la substance β-amyloïde initierait la séquence (la cascade) de processus pathologiques de la « maladie d’Alzheimer ». Plus fondamentalement, Chételat considère que nous entrons dans une ère nouvelle, dans laquelle la conception unitaire de la maladie d’Alzheimer en tant que maladie, caractérisée par une trajectoire pathologique unique et spécifique, est progressivement remplacée par une vision plus complexe qui considère la maladie d’Alzheimer comme une pathologie plurifactorielle, sous-tendue par plusieurs processus pathologiques partiellement indépendants, interagissant les uns avec les autres selon des organisations séquentielles variées et subissant l’influence de divers facteurs de risque à la fois communs et spécifiques. Chételat envisage donc la contribution d’autres mécanismes pathologiques que les pathologies tau et amyloïde, en particulier les atteintes vasculaires, la neuroinflammation, des anomalies de connectivité/activité neuronale, etc.

Dans cette perspective, Wirz et al. (2013) ont réalisé une revue de question révélant que de très nombreux processus, liés à l’âge, sont impliqués précocement dans le développement de la condition appelée « maladie d’Alzheimer : dysfonctionnement du signalement de l’insuline, dysfonctionnement des membranes associées aux mitochondries, changements cérébro-vasculaires, stress oxydatif et formation de radicaux libres, lésions de l’ADN, perturbation du métabolisme énergétique et dysfonctionnement synaptique.

Ainsi, ces différentes données suggèrent qu’il faut s’affranchir d’une approche réductionniste basée sur l’exploration de cascades moléculaires. Il ne s’agit pas de contester l’intérêt qu’il y a à étudier la validité prédictive de certains marqueurs biologiques concernant le vieillissement cérébral/cognitif problématique. Cependant, ces biomarqueurs devraient être considérés comme étant le reflet de certains mécanismes généraux, au sein d’un ensemble complexe de mécanismes en interaction pouvant se présenter de façon variable et dans des combinaisons également variables chez des personnes âgées présentant des difficultés cognitives plus ou moins importantes.

De plus, comme l’indiquent Brayne et Davis (2012), la conception selon laquelle les processus physiopathologiques de la « maladie d’Alzheimer » seraient clairement distincts de ceux impliqués dans le vieillissement semble de plus en plus contestable. Cette conception découlerait de la tendance à réifier les entités diagnostiques (c’est-à-dire, à les considérer comme des entités concrètes, stables), de postulats réducteurs concernant les facteurs étiologiques et du fait que peu d’études longitudinales ont été menées sur des échantillons représentatifs de la population réelle (la plupart des études ayant été menées sur des volontaires, sur des personnes recrutées dans des cliniques de mémoire et sur des personnes âgées de moins de 85 ans, ce qui limite considérablement la généralisation des résultats obtenus).

Actuellement, comme le relèvent Le Couteur et al. (2013), il n’existe pas d’étude menée sur une vaste population ayant montré que l’association entre des marqueurs biologiques et la « démence » (ou les anomalies neuropathologiques sous-jacentes) est suffisamment robuste pour justifier leurs utilisation dans la pratique clinique. En dépit de ce manque de données, les biomarqueurs et examens de neuroimagerie focalisés sur la substance amyloïde commencent à pénétrer la pratique courante, notamment dans les consultations-mémoire. Ainsi, après avoir été utilisées afin de recruter des personnes pour des essais pharmaceutiques, puis pour accroître la prescription de médicaments « anti-Alzheimer » dont l’efficacité est très loin d’être avérée, les consultations-mémoire vont principalement servir, voire servent dès à présent, à établir un diagnostic précoce en se fondant sur des concepts comme le « MCI » ou la « maladie d’Alzheimer préclinique » et certains biomarqueurs dont la validité prédictive est très contestable.

Risques, méfaits et coûts de diagnostic précoce

Au vu du caractère tellement incertain des informations qu’ils fournissent quant à la prédiction d’un déclin cognitif et son évolution, le recours au concept de « MCI » et aux biomarqueurs à des fins de diagnostic précoce ne peut pas être réellement justifié en invoquant la possibilité offerte aux personnes âgées de planifier leur futur en connaissance de cause.

Le diagnostic précoce ne peut pas non plus être justifié en considérant les bénéfices que pourraient tirer les personnes d’un traitement pharmacologique ou d’une intervention cognitive. En effet, dans la mesure où les difficultés cognitives et les atteintes neuronales des personnes âgées paraissent dépendre de multiples facteurs et mécanismes, il est illusoire de penser qu’un traitement efficace spécifique (pharmacologique ou cognitif) peut être identifié sur base de ces catégories diagnostiques. Il n’existe d’ailleurs aucun médicament qui entrave la progression de la « démence » ou qui soit efficace chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « MCI » (voir notre chronique « Les médicaments anti-Alzheimer et les emboles cérébraux sont associés à un déclin plus rapide chez les personnes avec une maladie d’Alzheimer »). Récemment, Tricco et al. (2013) ont confirmé, via une revue systématique et une méta-analyse, que les inhibiteurs de la cholinestérase (donézépil, rivastigmine et galantamine), ainsi que la mémantine n’amélioraient pas les capacités cognitives et l’état fonctionnel des personnes ayant reçu un diagnostic de « MCI ».

Par ailleurs, il n’y a pas actuellement de données solides indiquant qu’un entraînement cognitif puisse réduire l’incidence de troubles cognitifs chez des personnes cognitivement normales ou le développement d’une « démence » chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « MCI » (voir, p. ex., Gates, Sachdev, Fiatarone Singh, & Valenzuela, 2011).    

Relevons enfin qu’il n’est nul besoin de disposer d’un diagnostic de « MCI » ou des informations fournies par d’éventuels marqueurs biologiques pour encourager la mise en place de mesures de prévention (en lien avec les facteurs de risque vasculaires, l’activité physique, l’engagement social, les activités cognitives stimulantes, la réduction du stress, l’influence des stéréotypes, etc.) visant à différer et/ou atténuer les manifestations problématiques du vieillissement cérébral/cognitif.

Outre le fait qu'il n'apporte pas d'effets bénéfiques,  le recours (de plus en plus important) aux inhibiteurs de la cholinestérase et à d’autres substances chez les personnes « MCI » peut induire divers effets nocifs  (tels que des problèmes gastro-intestinaux et cardiaques ; voir Tricco et al. 2013) et est associé à des coûts financiers importants. Il en va de même pour les explorations de diagnostic précoce qui sont, elles aussi, coûteuses financièrement et source possible de souffrance psychologique  et de stigmatisation.

De plus, comme le mentionnent Le Couteur et al. (2013), pour beaucoup de personnes âgées avec de multiples comorbidités, la « démence » fait partie intégrante de la fin de vie et les mesures de prévention s’avèrent alors non pertinentes. A 90 ans ou plus, le risque d’être « dément » est de 60% (Brayne, Gao, Dewey, & Matthews, 2006). Dans cette perspective, la focalisation sur le diagnostic précoce de la « maladie d’Alzheimer » conduit à détourner l’attention et les ressources des besoins actuels des personnes âgées, en lien avec la qualité de vie, les comorbidités et les soins palliatifs.

Intérêts économiques et commerciaux du dépistage précoce

L’expansion du diagnostic précoce accroît les bénéfices des entreprises et sociétés impliquées dans le développement de tests de dépistage et de diagnostic précoce, ainsi que de médicaments (et substances complémentaires) commercialisés pour maintenir le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Elle fournit également du travail aux cliniciens spécialisés dans la « démence » (il suffit de considérer le nombre de consultations mémoire qui ont été mises en place ces dernières décennies).

Le Couteur et al (2013) relatent ainsi que des firmes pharmaceutiques ont sponsorisé une étude qui demandait au gouvernement anglais de fournir une récompense financière dans le but d’accroître les taux de diagnostics, ont financé le développement et la distribution du « Seven Minute Screen for dementia » et ont la licence du Florbetapir F 18, un composant radio-pharmacologique utilisé dans la TEP amyloïde visant à détecter les plaques amyloïdes. Enfin, les auteurs rapportent que de nombreux médecins généralistes au Royaume-Uni utilisent une application pour tablette comportant une version abrégée de tests neuropsychologiques validés dans le contexte de soins de santé secondaire. Cette version n’a cependant pas été validée dans un contexte de soins de santé primaire et il n’y a eu aucune étude translationnelle visant à examiner les conséquences d’un tel testing.

Conclusions

Le Couteur et al. concluent leur article en indiquant en quoi le désir des politiciens, des associations, des universitaires et des cliniciens d’accroître la visibilité de la « démence » est compréhensible, mais que nous risquons ainsi d’être incorporés dans une « guerre contre la démence » que nous ne souhaitons pas.

En fait, il apparaît qu’environ la moitié des personnes qui ont des résultats positifs à un dépistage de troubles cognitifs refuse une évaluation diagnostique subséquente, du fait d’inquiétudes concernant les méfaits associés à ce diagnostic, tels que : la perte d’une couverture d’assurance, d’un permis de conduire ou d’un emploi, l’anxiété et la dépression, la stigmatisation et les effets sur les finances et les relations familiales (Justiss et al., 2009).

Par ailleurs, des médecins généralistes anglais ont ouvertement manifesté leur opposition au dépistage et au sur-diagnostic (Brunet et al., 2012). En outre, le dépistage de la « démence » et du « MCI » n’est pas recommandé par le « UK National Screening Committee », les directives du « Royal Australian College of General Practitioners » et la « US Preventative Services Task Force ».

Le Couteur et al. considèrent enfin que les efforts politiques visant à accroître le nombre de personnes qui reçoivent un diagnostic de « démence » et de « démence précoce » devraient plutôt être consacrés à la prévention, et notamment à réduire le tabagisme et l’obésité, deux facteurs dont on sait que leur présence durant la cinquantaine est associée à un risque accru de « démence ». Ils rappellent également que les ressources qui sont allouées au diagnostic précoce sont autant de ressources qui ne seront pas disponibles pour l’amélioration, grandement nécessaire, des soins et de la qualité de vie des personnes présentant une « démence » avancée.        

 

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Le Couteur, D. G., Doust, J., Creasey, H., & Brayne, C. (2013). Too much medicine. Political drive to screen for pre-dementia: not evidence based and ignores the harms of diagnosis. British Medical Journal, 347 :f5125 doi:10.113/bmj.f5125 (published 9 September 2013).

Marchant, N., Reed, B.R., Sanossian, N., Madison, C.M., Kriger, S., Dhada, R., ... Jagust, W.J. (2013). The aging brain and cognition. Contribution of vascular injury and Aß to mild cognitive dysfunction. Journal of the American Medical Association, 70(4), 488-495.

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17 février 2013 7 17 /02 /février /2013 17:07

Résumé

Des recommandations ont été élaborées pour définir ce que seraient les « stades précliniques (asymptomatiques) de la maladie d’Alzheimer » (Sperling et al., 2011). Trois stades séquentiels de la « maladie d’Alzheimer préclinique » (précédant le stade du MCI) ont ainsi été proposés : 1. Présence isolée (sans symptômes cognitifs) de biomarqueurs β-amyloïde (amyloïdose) ; 2. Présence conjointe (sans symptômes cognitifs) de biomarqueurs β-amyloïde et de biomarqueurs d’atteintes neuronales ; 3. Présence conjointe de biomarqueurs β-amyloïde, de biomarqueurs d’atteintes neuronales et de performances cognitives faibles (mais ne correspondant pas aux critères de MCI).

Une étude récente (Knopman et al., 2013) a obtenu des données mettant en question cette séquence des « stades précliniques de la maladie d’Alzheimer » et confirmant la complexité des mécanismes en jeu dans la condition appelée « maladie d’Alzheimer préclinique ». En particulier, cette étude a mis en évidence que la présence initiale de signes d’atteintes neuronales chez les personnes âgées cognitivement normales peut ne pas dépendre de la présence de β-amyloïde. Comme le relève Chételat (2013), ces résultats contredisent non seulement le modèle séquentiel des biomarqueurs de la « maladie d’Alzheimer » mais aussi, plus généralement, l’hypothèse de la cascade amyloïde. Plus fondamentalement, Chételat indique que nous entrons dans une ère nouvelle, dans laquelle la conception unitaire de la « maladie d’Alzheimer » en tant que « maladie », caractérisée par une trajectoire pathologique unique et spécifique, est progressivement remplacée par une vision plus complexe selon laquelle la « maladie d’Alzheimer » est considérée comme une pathologie plurifactorielle, sous-tendue par plusieurs processus pathologiques partiellement indépendants, interagissant les uns avec les autres selon des organisations séquentielles variées et étant sous l’influence de divers facteurs de risque à la fois communs et spécifiques.

Les implications de ces résultats et interprétations sont discutées, en particulier en ce qui concerne la pertinence même du concept de « maladie d’Alzheimer » et l’importance des mesures de prévention visant à différer les effets négatifs du vieillissement cérébral et à prévenir les problèmes les plus importants associés aux modifications liées à l’âge. 

  

En 2010, des recommandations ont été élaborées - sous l’égide du « National Institute of Aging » et de l’« Alzheimer’s Association » des Etats-Unis - pour définir ce que seraient les « stades précliniques (asymptomatiques) de la maladie d’Alzheimer ». Ces recommandations ont été publiées en 2011 dans la revue Alzheimer’s & Dementia (Sperling et al., 2011).

Se fondant sur le modèle élaboré par Jack et al. (2010), lequel se base largement sur l’hypothèse de la cascade amyloïde, trois stades séquentiels de la « maladie d’Alzheimer préclinique » ont été proposés (lesquels précéderaient le stade du « Mild Cognitive Impairment, MCI » ou trouble cognitif léger) : 1. Présence isolée (sans symptômes cognitifs) de biomarqueurs de β-amyloïde (amyloïdose); 2. Présence conjointe (sans symptômes cognitifs) de biomarqueurs de β-amyloïde et de biomarqueurs d’atteintes neuronales (atrophie cérébrale en IRM structurelle et hypométabolisme en TEP dans les régions considérées comme  étant la « signature de la maladie d’Alzheimer » ; niveau élevé de tau dans le liquide céphalo-rachidien ; 3. Présence conjointe de biomarqueurs de β-amyloïde, de biomarqueurs d’atteintes neuronales et de performances cognitives faibles (mais ne correspondant pas aux critères de MCI et de démence). Cette séquence s’inscrit donc bien dans la conception selon laquelle la substance β-amyloïde initie le processus (la cascade) pathologique de la « maladie d’Alzheimer ».

Dès la présentation, en 2010, de ces recommandations (et de celles relatives aux critères de la « maladie d’Alzheimer » et du « MCI »), nous avons mis en question cette approche de plus en plus réductrice du vieillissement cérébral et cognitif (voir notre chronique « L’empire Alzheimer ne désarme pas ! »).

Plus spécifiquement, même si les critères de la “maladie d’Alzheimer préclinique” se voulaient à des fins de recherche, nous relevions les dangers d’une utilisation clinique (très vraisemblable à court ou moyen terme) de ces stades et des biomarqueurs qui y sont associés et dont la validité est des plus incertaine. L’adoption de ces biomarqueurs dans le cadre d’une démarche de diagnostic précoce conduirait à enfermer de plus en plus de personnes, et de plus en plus tôt, dans des catégories pathologisantes, alors qu’un grand nombre d’entre elles continueront à bénéficier d’un fonctionnement autonome et d’une bonne qualité de vie. En particulier, cette pathologisation du vieillissement serait susceptible d’induire une série de conséquences négatives : stigmatisation, anxiété/dépression/honte, modification dans les relations familiales, isolement social, déclassement professionnel (ou refus d’embauche), difficultés auprès des assureurs (risque de ne plus pouvoir être assuré ou de subir une augmentation de primes), adhésion aux stéréotypes négatifs en lien avec ces catégories, consommation accrue de médicaments psychotropes, etc. Enfin, compte tenu du caractère tellement incertain des informations fournies par les biomarqueurs sur le devenir cognitif d’une personne âgée, nous indiquions en quoi leur utilisation à des fins de diagnostic précoce ne pouvait pas être justifiée en invoquant la possibilité offerte aux personnes âgées de planifier leur futur, en connaissance de cause. Notre position sur ce point était donc (et demeure) très nette: l’utilisation de biomarqueurs dans un cadre clinique (de diagnostic précoce) ne devrait actuellement pas être envisagée (ce qui est d’ailleurs vrai aussi pour le MCI ; voir notre chronique « Le trouble cognitif léger : une flagrante myopie intellectuelle »). De plus, nous insistions sur le fait que l’argent qui serait ainsi économisé pourrait être plus utilement investi dans la mise en place de programmes de prévention, ainsi que dans une autre approche de l’évaluation et de l’intervention auprès de personnes présentant une vieillissement cérébral/cognitif problématique (une approche moins réductionniste, moins stigmatisante et davantage centrée sur la personne).

Dans la même perspective, George, Qualls, Camp et Whitehouse (2013) ont récemment décrit de façon détaillée les coûts potentiels (personnels, familiaux sociaux et économiques) d’une utilisation clinique des biomarqueurs à des fins de diagnostic précoce, et ce en situant l’apparition des nouvelles recommandations sur la « maladie d’Alzheimer », le « MCI » et les « stades précliniques de la maladie d’Alzheimer » dans un contexte social et culturel plus large.

Relevons en outre que des médecins généralistes anglais se sont récemment insurgés (dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre et au Chef de la direction médicale) contre le projet selon lequel il leur serait demandé d’explorer de façon proactive (y compris via un test de dépistage) la mémoire de toutes les personnes âgées de 75 et plus qui les consultent (Brunet et al., 2012). Ces généralistes considèrent qu’il n’existe pas de données convaincantes montrant les bénéfices que pourrait tirer une personne d’un diagnostic précoce et que, par ailleurs, une démarche systématique de dépistage est susceptible de provoquer divers préjudices chez les personnes testées, ainsi que des coûts financiers importants (alors que ces ressources financières devraient plutôt être allouées au soutien des personnes âgées et proches qui en ont besoin).    

Dans notre chronique « L’empire Alzheimer ne désarme pas », nous abordions également les implications de ces nouveaux critères de « maladie d’Alzheimer préclinique » au plan de la recherche, en insistant notamment sur leur caractère outrageusement réducteur. Il ne s’agissait pas de contester l’intérêt qu’il y a à explorer la validité prédictive de certains marqueurs biologiques concernant le vieillissement cérébral/cognitif problématique. Cependant, les biomarqueurs devraient être utilisés (quand leur implication dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique a été fermement établie et quand leur mesure s’est avérée fiable), non pas comme des marqueurs diagnostiques d’une prétendue « maladie essentielle » (ayant une cause spécifique), mais plutôt comme reflétant certaines mécanismes généraux, au sein d’un ensemble complexe de mécanismes en interaction pouvant se présenter de façon variable selon les cas et dans des combinaisons également variables, chez des personnes âgées présentant des difficultés cognitives plus ou moins importantes.

Une étude récente (Knopman et al., 2013) vient précisément d’obtenir des données mettant en question la séquence des « stades précliniques de la maladie d’Alzheimer » et confirmant la complexité des mécanismes en jeu dans la condition appelée « maladie d’Alzheimer préclinique » (voir Chételat, 2013).

La mise en question de la séquence des « stades précliniques de la maladie d’Alzheimer »

Comme nous l’avons vu précédemment, les critères de « maladie d’Alzheimer préclinique » (impliquant 3 stades) ont été élaborés à partir du modèle proposé par Jack et al. (2010). Ces critères ont été appliqués par Jack et al. (2012) à un échantillon de 450 personnes âgées (âge médian : 78 ans), cognitivement normales et issues de la population générale. Les résultats ont montré que 43% des personnes n’avaient pas de profil de biomarqueurs anormaux (stade 0). Par ailleurs, 31% se situaient entre les stades 1 et 3 (stade 1 : 16% ; stade 2 : 12 % ; stade 3 : 3%) et ont donc été considérés comme étant sur la voie de la « maladie d’Alzheimer ». Enfin, 23% de l’échantillon présentaient des signes d’atteinte neuronale (atrophie et hypométabolisme) sans signe de dépôt de β-amyloïde et ne suivaient donc pas la séquence des stades de « maladie d’Alzheimer préclinique ». Dans la mesure où la présence de β-amyloïde est censée initier le processus pathologique (la cascade amyloïde), ces personnes ont été regroupées dans la catégorie SNAP : « Suspected Non-AD Pathology » (suspicion de pathologie non-Alzheimer).

Dans une étude ultérieure menée sur un échantillon issu du même groupe de personnes âgées que celles explorées dans l’étude précédente et ayant fait l’objet d’un suivi d’au moins 1 ans, Knopman et al. (2012) ont montré que, sur 296 personnes initialement normales au plan cognitif, 31 (10%) ont progressé vers un diagnostic de MCI ou de démence : en fait, 29 personnes ont évolué vers un MCI (27 MCI amnésique et 2 MCI non amnésique) et 2 personnes vers un diagnostic de démence non-Alzheimer. Par ailleurs, la conversion vers le MCI ou la démence augmentait avec l’avancée dans les stades : stade 0, 5% ; stade 1, 11% ; stade 2, 21% ; stade 3, 43%). Les auteurs concluent que ces données apportent un appui préliminaire à l’utilité pronostique des critères de « maladie d’Alzheimer préclinique ». Cependant, au vu du fait que la grande majorité des personnes ont évolué vers le « MCI », il nous apparaît que cette conclusion est très affaiblie par la faible validité conceptuelle du MCI, la variabilité de son évolution et l’hétérogénéité des mécanismes qui y sont associés (il en va d’ailleurs de même pour le concept de « performance cognitive faible ne correspondant pas au MCI », ainsi que pour son opérationnalisation : relevons que le point de coupure a été établi au niveau du percentile 10, défini à partir de la distribution des scores cognitifs en ligne de base de l’échantillon qui a été étudié). Enfin, la conversion vers le MCI ou la démence pour les personnes SNAP était de 10%, un taux qui n’est pas très différent de ceux observés chez les personnes se situant au stade 0 (5%), au stade 1 (12%) ou aux stades 1 à 3 combinés (18%). En dépit de cela, les auteurs ont continué à classer ces personnes comme non-Alzheimer (SNAP).

Les résultats obtenus dans un travail plus récent, mené par la même équipe (Knopman et al., 2013), conduisent cependant à reconsidérer les interprétations proposées pour rendre compte des données des deux études précédentes. Au sein d’un échantillon de 430 personnes âgées cognitivement normales, les auteurs ont comparé sur différentes mesures (atteintes cérébrovasculaires ; facteurs de risque cardiovasculaires : diabète, hypertension, tabagisme, etc. ; caractéristiques cérébrales et cliniques associées à la maladie de Parkinson et autres alpha-synucléinopathies) les personnes du groupe SNAP (des personnes présentant donc des signes d’atteinte neuronale sans signe de dépôt de β-amyloïde) à celles se trouvant dans le groupe « maladie d’Alzheimer préclinique ». En considérant que les personnes du groupe « maladie d’Alzheimer préclinique » devraient présenter des caractéristiques spécifiques, et dans la mesure où les processus physiopathologiques non-Alzheimer les plus fréquents sont les troubles cérébrovasculaires et l’alpha-synucléinopathie, les auteurs s’attendaient à observer des différences entre les deux groupes, en particulier sur les mesures de ces deux dimensions physiopathologiques.

En fait, aucune différence n’a été observée entre les personnes du groupe SNAP (n=102) et les personnes du groupe « maladie d’Alzheimer préclinique » (stade 2 + 3 ; n=69) sur les mesures de biomarqueurs en neuroimagerie (volume hippocampique, métabolisme cérébral dans les régions censées signer la « maladie d’Alzheimer », volumétrie corticale et métabolisme régional du glucose pour toutes les régions corticales), sur les marqueurs cérébraux d’atteintes cérébrovasculaires, sur les facteurs de risque vasculaires et sur les caractéristiques cérébrales et cliniques des alpha-synucléinopathies. Ainsi, les auteurs concluent que l’apparition initiale de biomarqueurs d’atteintes neuronales chez les personnes âgées cognitivement normales peut ne pas dépendre de la β-amyloïdose.

Comme le relève Chételat (2013), ces résultats contredisent non seulement le modèle séquentiel des biomarqueurs de la « maladie d’Alzheimer », mais aussi l’hypothèse de la cascade amyloïde. Elle ajoute que, même si l’étude de Knopman et al. (2013) n’est pas exempte de limites, le fait que des atteintes neuronales peuvent, en partie du moins, se produire indépendamment des processus liés à la  β-amyloïde ne peut plus être ignoré (elle mentionne d’ailleurs d’autres données appuyant l’existence de cette indépendance).

Plus fondamentalement, Chételat considère que nous entrons dans une ère nouvelle dans laquelle la conception unitaire de la « maladie d’Alzheimer », en tant que « maladie » caractérisée par une trajectoire pathologique unique et spécifique, est progressivement remplacée par une vision plus complexe selon laquelle la « maladie d’Alzheimer » est considérée comme une pathologie plurifactorielle, sous-tendue par plusieurs processus pathologiques partiellement indépendants, interagissant les uns avec les autres selon des organisations séquentielles variées et étant sous l’influence de divers facteurs de risque à la fois communs et spécifiques.

Il faut insister sur le fait que Chételat envisage la contribution d’autres mécanismes pathologiques que les pathologies tau et amyloïde, et en particulier les atteintes vasculaires, la neuroinflammation, des anomalies de connectivité/activité neuronale, etc. Dans ce contexte, il nous parait important de rappeler que le rôle causal de la β-amyloïde est contesté par plusieurs chercheurs et que, pour certains (voir Castellani & Perry, 2012), cette substance représenterait même une réponse protectrice du cerveau plutôt qu’un facteur causal de la « démence ».

Chételat ajoute que, dans cette perspective, on peut envisager les différents biomarqueurs au même niveau, la présence additive de chaque facteur amenant un accroissement supplémentaire dans le risque de progression vers la « maladie d’Alzheimer ». Ainsi, même l’atrophie cérébrale et l’hypométabolisme pourraient être considérés comme des processus partiellement indépendants contribuant à ce risque. Par ailleurs, selon Chételat, dans la mesure où les déficits cognitifs peuvent, dans certains cas, se manifester avant que des changements cérébraux soient détectables, il serait préférable de considérer les troubles cognitifs séparément (plutôt que comme séquentiellement consécutifs à des atteintes cérébrales structurelles) : en fait, le timing des troubles cognitifs dépendra de  la variabilité interindividuelle, de la réserve cognitive et des processus de compensation. Elle termine son commentaire en indiquant que des recherches futures devront bien entendu confirmer cette conception mais que, dès à présent, ces données vont susciter un débat animé dans la communauté des chercheurs dans le domaine de « la maladie d’Alzheimer » (du vieillissement cérébral et cognitif).

Entamons donc ce débat !

Et si l’on s’affranchissait du concept de « maladie d’Alzheimer » ?

Les données de Knopman et al. (2013) suggèrent donc que, au plan physiopathologique, l’état étiqueté « maladie d’Alzheimer » ne constitue pas une entité spécifique, caractérisée par une cause unique. De même, il est maintenant admis que la « maladie d’Alzheimer » peut s’exprimer de différentes manières au plan cognitif (présentation davantage amnésique, langagière, visuoperceptive, exécutive… ; voir les nouveaux critères de « maladie d’Alzheimer » établis par McKhann et al., 2011). Plus de physiopathologie spécifique, plus de symptomatologie cognitive spécifique : que reste-t-il du concept de « maladie d’Alzheimer » en tant que maladie au sens essentialiste du terme ?

Plusieurs chercheurs et cliniciens ont franchi un pas supplémentaires en proposant de réintégrer les manifestations de la « démence » dans le contexte plus général du vieillissement (voir nos chroniques « La résistance à l’approche pathologisante et réductrice du vieillissement cérébral/cognitif s’impose plus que jamais » et « Réintégrer le vieillissement cérébral/cognitif problématique dans le cadre plus général du vieillissement »). Ainsi, par exemple,  Chen, Maleski et Sawmiller (2011 ; voir également Herrup, 2010, et de la Torre, 2012) ont suggéré que la racine du vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence ») se trouverait dans l’accroissement de l’espérance de vie : en d’autres termes, le vieillissement naturel jouerait un rôle important dans les phénomènes neurodégénératifs, lesquels feraient ainsi partie intégrante des modifications du corps qui se produisent dans la dernière étape de la vie. Par ailleurs, le fait que toutes les personnes âgées ne présentent pas de « démence » conduirait à faire appel, non pas à un facteur pathogène spécifique, mais à divers facteurs de risque : à l’âge avancé, la fragilité des cellules cérébrales font qu’elles sont vulnérables à toutes sortes d’influences négatives, telles qu’une absence d’activité physique et cognitive, une nutrition inadéquate, un isolement social, etc. En agissant de manière additive et durant les dernières étapes d’une longévité étendue, les facteurs de risque déclencheraient la mort cellulaire ou exagèreraient les effets négatifs des phénomènes neurodégénératifs naturels. Du fait de la variabilité des contextes de vie, l’action de ces facteurs de risque aurait un caractère essentiellement probabiliste. Les auteurs ajoutent que d’autres problèmes peuvent affecter le cerveau vieillissant et contribuer à son évolution problématique, en particulier les problèmes vasculaires et infectieux, les effets d’un traumatisme crânien ou des mutations génétiques (qui contribueraient à accélérer la progression du vieillissement cérébral).

N’est-il dès lors pas temps d’abandonner le concept de « maladie d’Alzheimer » ? Il ne s’agit pas d’une simple querelle terminologique. Le concept de « maladie d’Alzheimer » véhicule une vision apocalyptique du vieillissement cérébral, contribuant ainsi à la stigmatisation, aux stéréotypes « auto-réalisateurs », à l’isolement social, à la non prise en compte des capacités préservées, à l’attente passive, désespérée et régulièrement entretenue, du remède biologique « miracle », et, plus largement, à la médicalisation (à l’« alzheimérisation ») du vieillissement (voir nos chroniques « Le langage quotidien peut être destructeur… » et « Comment les médias définissent-ils la "maladie d’Alzheimer ? " »). Il propage également une conception du vieillissement en termes de « fardeau et de crise » (au plan social et économique), plutôt que de considérer que le vieillissement constitue une opportunité pour élaborer un autre type de société, avec davantage de sagesse individuelle et collective, plus de solidarité et d’engagement et dans laquelle les personnes âgées ont toute leur place, avec leurs forces, talents et compétences, mais aussi leur vulnérabilité.

Pour tout cela, nous pensons qu’il faudrait abandonner le terme « maladie d’Alzheimer ». Il est en effet possible de reconnaître et d’aborder les difficultés cognitives et fonctionnelles pouvant être associées au vieillissement sans enfermer les personnes âgées dans des « maladies catastrophiques de fin de vie ». Il s’agirait de leur indiquer que le vieillissement cérébral et cognitif fait partie de l’aventure humaine, que les difficultés cognitives plus ou moins importantes liées à l’âge sont déterminées par de nombreux facteurs (environnementaux, sociaux, psychologiques, biologiques...) et que l’évolution de ces difficultés n’est pas prévisible. On leur dirait en outre que l’on peut encore bien vivre avec des difficultés cognitives et avoir une place et un rôle dans la société, qu’il existe différentes démarches susceptibles de ralentir et d'atténuer l’impact des difficultés cognitives, qu’une de ces démarches est de rester partie prenante dans la société et de continuer à s’engager utilement en fonction de ses moyens, et ce en mettant en avant les capacités préservées des personnes.

Whitehouse et George (2009), dans leur livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer », ont proposé d’adopter la formulation « défis cognitifs liés à l’âge », car un défi, cela se relève et cela peut même, dans certains cas, constituer  une source de développement personnel. Il ne s’agit pas de nier les difficultés parfois importantes que peuvent rencontrer certaines personnes âgées et leurs proches.  Il ne s’agit pas non plus de rendre la personne âgée ou ses proches responsables des problèmes ou des troubles, mais de les amener à réaliser qu’un changement de perspective et des démarches simples peuvent contribuer à une plus grande qualité de vie et que même en présence de troubles cognitifs, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté. Dans ce changement de terminologie, on pourrait tirer parti de l’expérience japonaise qui a conduit au remplacement du terme particulièrement stigmatisant de « démence », et ce après avoir mis en place une vaste consultation de la société japonaise (voir notre chronique « Changer notre vocabulaire concernant le vieillissement et les personnes âgées : la nécessité d’un débat citoyen ! »).

Cette conception différente du vieillissement cérébral et cognitif problématique, qui s’abstrait des critères diagnostiques médicaux traditionnels, soulève indéniablement des questions délicates concernant le financement et le remboursement des soins de santé auprès des personnes âgées. Cependant, ne pourrions-nous pas avoir assez d’imagination pour élaborer des propositions qui prennent en compte la complexité et les nuances du vieillissement cérébral/cognitif, tout en garantissant des soins de qualité à toutes les personnes âgées ? Comme l’indiquent Peter Whitehouse et Daniel George (op. cit., p. 268), « nous ne devrions pas laisser aux assureurs le pouvoir de dicter le type d’histoires que notre ‘establishment’ médical raconte ensuite aux personnes âgées et à leur entourage ».

Enfin, ce changement de conception suggère une diversification des interventions, en considérant la pluralité des facteurs biologiques impliqués, mais aussi - et surtout - en visant tout particulièrement à différer les effets négatifs du vieillissement cérébral et à prévenir les problèmes les plus importants associés aux modifications liées à l’âge, et ce en ciblant les facteurs de risque (et les événements initiateurs) environnementaux et de style de vie (c’est-à-dire, intervenir au plan de la prévention).Une telle approche ne conduira cependant à des progrès substantiels que si se développe une prise de conscience générale, amenant à des priorités de financement.

Dans ce contexte, face aux réserves formulées par certains concernant l’intérêt de la prévention, Friedland et Nandi (2013), du Département de Neurologie de l’Université « Louisville School of Medicine », indiquent en quoi l’absence de preuves définitives de l’efficacité de la prévention de la « démence » ne doit pas empêcher la mise en place de recommandations et de mesures de prévention basées sur les données existantes, lesquelles suggèrent que le risque de démence peut être diminué via un contrôle de certains facteurs de risque modifiables (tels que l’activité physique et cognitive, l’hypertension, l’obésité, le régime alimentaire, le traumatisme crânien, le diabète, le tabagisme, la vitamines B, les antioxydants, etc.).

Sur un mode ironique,  ils proposent de mettre en place un « modeste projet », à savoir une étude longitudinale, en simple aveugle, visant à explorer l’impact de ces facteurs de risque auprès de 10’000 volontaires sains âgés de 20 à 30 ans. Deux mille personnes seraient assignées aux groupes avec des niveaux hauts et bas de graisse saturée, d’activité physique, d’activité cognitive, de traumatisme crânien ou de tabagisme. Cette étude serait menée sur une durée de 40 ans, car une longue période d’observation est nécessaire du fait du décours prolongé préclinique de la « maladie d’Alzheimer ». Un grand nombre de participants est requis pour permettre le contrôle d’une série de variables possiblement confondantes (âge, genre, appartenance ethnique, niveau scolaire, abandons, etc.). L’importance des résultats justifie cette longue période d’observation et le coût financier considérable d’une telle recherche. Mais cette étude peut-elle être réalisée ? Les auteurs considèrent qu’il est temps de réaliser que l’étude ultime des interactions d’intérêt entre le style de vie et la santé cognitive des personnes âgées ne peut pas être effectuée. Leur « modeste proposition d’étude » est une satire, similaire à la « Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public » élaborée par Jonathan Swift en 1729, dans laquelle il indique que la pauvreté en Irlande pourrait être améliorée en utilisant les enfants comme nourriture… Plus sérieusement, Friedman et Nandi ajoutent que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’essais randomisés contrôlés qu’on ne peut pas présenter dès maintenant des recommandations raisonnables visant à réduire le risque de « démence » (voir aussi Romàn, Nash, & Fillit, 2012, et notre chronique « Pour une autre manière d’aborder les effets de prévention du vieillissement cérébral »).

Notons que plusieurs études sont actuellement en cours visant à explorer l’efficacité de mesures de prévention sur les troubles cognitifs et fonctionnels des personnes âgées, comme par exemple celle menée en Finlande, dont l’intérêt est de proposer une intervention de prévention multi-domaines : guidance alimentaire, exercices physiques, entraînement cognitif, activités sociales, gestion des facteurs de risque vasculaires et métaboliques (Kivipelto et al., 2013).

 

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Cascade gelée de Prêle Falls (Oregon) ©123rf

 

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Castellani, R.J., & Perry, G. (2012). Pathogenesis and disease-modifying therapy in Alzheimer’s disease: The flat line of progress. Archives of Medical Research, 43, 694-698.

Chen, M., & Maleski, J., & Sawmiller, D.R. (2011). Scientific truth or false hope? Understanding Alzheimer’s disease from an aging perspective. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 3-10.

Chételat, G. (2013). Aβ-independent processes: Rethinking preclinical AD. Nature Reviews/Neurology, sous presse.

de la Torre J.C. (2012). A turning point for Alzheimer’s disease ? Biofactors, 38, 78-83.

Friedland, R.P., & Nandi, S. (2013). A modest proposal for a longitudinal study of dementia prevention (with apologies to Jonathan Swift, 1729). Journal of Alzheimer’s Disease, 33, 313-315.

George, D., Qualls, S.H., Camp, C.J., & Whitehouse, P.J. (2013). Renovating Alzheimer’s: “Constructive” reflexions on the new clinical and research diagnosis guidelines. The Gerontologist, sous presse.

Herrup, K. (2010). Reimagining Alzheimer’s disease. An age-based hypothesis. The Journal of Neuroscience, 15, 16755-16762.

Jack, C.R., Knopman, D.S., Jagust, W.J., Shaw, L.M., Aisen, P.S., Weiner, M.W., … Trojanowski, J.Q. (2010). Hypothetical model of dynamic biomarkers of the Alzheimer’s pathological cascade. Lancet Neurology, 9, 119-128.

Jack, C.R., Knopman, D.S., Weigand, S.D., Wiste, H.J., Vemuri, P., Lowe, V., … Petersen, R.C. (2012). An operational approach to National Institute on Aging – Alzheimer’s Association criteria for preclinical Alzheimer disease. Annals of Neurology, 71, 765-775.

Kivipelto, M., Solomon, A., Ahtiluoto, S., Ngandu, T., Lehtisalo, J., Antikainen, R., … Soininen, H. (2013). The Finnish Geriatric Intervention Study to Prevent Cognitive Impairment and Disability (FINGER) : Study design and progress. Alzheimer & Dementia, sous presse.

Knopman, D.S., Jack, C.R., Wiste, H.J., Weigand, S.D., Vemuri, P., Lowe, V., … Petersen, R.C. (2012). Short-term clinical outcomes for stages of NIA-AA preclinical Alzheimer disease. Neurology, 78, 1576-1582.

Knopman, D.S., Jack, C.R., Wiste, H.J., Weigand, S.D., Vemuri, P., Lowe, V.J., … Petersen, R.C. (2013). Neuronal injury are not dependent on β-amyloid in normal elderly. Annals of Neurology, sous presse.

McKhann, G.M., Knopman, D.S., Chertkow, H., Hyman, B.T., Jack, C.R., Kawas, C.H., … Phelps, C.H. (2011). The diagnosis of dementia due to Alzheimer’s disease : Recommendations from the National Institute on Aging – Alzheimer’s Association workgroups on diagnostic guidelines for Alzheimer’s disease. Alzheimer’s & Dementia, 7, 263-269.

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Whitehouse, P., & George, D. (2009). Le mythe de la maladie d’Alzheimer. Ce qu’on ne vous dit pas sur ce diagnostic tant redouté. Marseille: Solal

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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 20:49

Résumé

Au vu de la complexité des facteurs impliqués dans la survenue de manifestations plus ou moins problématiques et évolutives du vieillissement cérébral/cognitif et du caractère essentiellement probabiliste des liens entre mécanismes causaux et déficits, la démarche consistant à attribuer de façon univoque un diagnostic de « maladie neurodégénérative » (p. ex., de « maladie d’Alzheimer ») à une personne (sur base de critères cognitifs, fonctionnels, cérébraux ou même neuropathologiques) est tout particulièrement confrontée à un risque d’erreurs de diagnostic, à savoir le risque d’annoncer l’existence d’une « maladie spécifique » impliquant une détérioration cognitive et fonctionnelle progressive à une personne chez qui  cette détérioration ne s’observera pas ultérieurement.

Peu d’études se sont penchées sur ces erreurs de diagnostic, sur la manière qu’ont les cliniciens d’y faire face et de les annoncer (quand c’est le cas), ainsi que sur les conséquences de ces erreurs diagnostiques (annoncées ou pas) pour la personne, ses proches et son réseau social. Dans ce contexte, Merckelbach, Jelicic et Jonker (2012) ont décrit un cas de diagnostic erroné de « maladie d’Alzheimer » posé par un neurologue chez une femme de 58 ans, dans le contexte d’une évaluation très lacunaire.

Les auteurs ont montré en quoi il existait des similitudes entre les conséquences de ce diagnostic erroné et le phénomène des faux souvenirs. Ainsi, la littérature sur les faux souvenirs montre que la suggestion d’une information fausse est d’autant plus puissante dans la formation d’un faux souvenir qu’elle est fournie par une personne en qui l’on a confiance. Dans le cas décrit par Merckelbach et al., le neurologue s’est présenté lui-même comme un ami de la famille royale des Pays-Bas, ce qui avait impressionné la patiente. De plus, l’information erronée affecte davantage la mémoire quand elle est répétée et connectée à des détails exacts. Dans le cas qui nous occupe, le neurologue a indiqué de façon répétée à la patiente qu’elle souffrait de la « maladie d’Alzheimer ». Dans la mesure où cette information a été introduite au sein de discussions concernant la mère de la patiente (qui avait, elle aussi, reçu ce diagnostic), les résultats du SPECT et son implication dans une recherche sur la « maladie d’Alzheimer », la patiente a développé la ferme conviction que le diagnostic devait être correct. En outre, il a été constaté que certaines personnes insistaient sur le fait que le faux souvenir s’était réellement produit, même après le débriefing (l’annonce du caractère fictif de l’événement). Dans la même perspective, il s’est avéré difficile de modifier la conviction de la patiente. Enfin, il a été observé que l’information fausse ne peut contaminer la mémoire que si cette information est plausible. Or, la patiente avait des plaintes mnésiques et une histoire familiale de « maladie d’Alzheimer », ce qui a constitué un contexte favorable à l’efficacité de l’information erronée.

Ces rapprochements entre diagnostic erroné et faux souvenirs mériteraient une exploration plus systématique, en particulier dans le domaine de la « maladie d’Alzheimer » et aussi du « MCI » (« trouble cognitif léger »). En effet, il y a bien des raisons de suspecter que des diagnostics erronés (conduisant à annoncer l’existence d’une « maladie neurodégénérative spécifique » ou d’un « état prodromique » à une personne chez qui aucune détérioration cognitive et fonctionnelle significative ne se manifestera) se produisent fréquemment.

De façon plus générale, c’est le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » en tant que tel qui doit être mis en question. Il s’agirait ainsi de modifier profondément la démarche d’évaluation des personnes âgées, ainsi que la façon d’annoncer les résultats de cette évaluation.

 

Il apparaît de plus en plus clairement que la « maladie d’Alzheimer » ne constitue pas une entité diagnostique spécifique, tant au plan cognitif que neuropathologique.

En effet, il a récemment été reconnu que les déficits cognitifs, psychoaffectifs et fonctionnels qui sont associés à cette prétendue « maladie » peuvent prendre des formes extrêmement différentes (voir notre chronique « Le défi de 2012 : poursuivre et amplifier la résistance à l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif »). De plus, l’évolution de ces déficits est très variable d’une personne à l’autre, avec, dans de nombreux cas, des périodes longues de stabilité et même, quelques fois, une réversibilité du diagnostic (voir nos chroniques « L’évolution du vieillissement cérébral problématique est très variable tant aux plans cognitif et fonctionnel que psychopathologique » et « Trois exemples de diagnostic réversible de maladie d’Alzheimer »).

Par ailleurs, diverses études d’épidémiologie neuropathologique indiquent que le cerveau des personnes qui ont reçu le diagnostic de « démence » (y compris celui de « maladie d’Alzheimer ») présente fréquemment des caractéristiques neuropathologiques multiples (avec notamment diverses atteintes vasculaires), suggérant la contribution de différents types de mécanismes étiopathogéniques (voir notre chronique « Le vieillissement cérébral/cognitif problématique est associé à de multiples anomalies neuropathologiques »). En outre, un  nombre non négligeable de personnes âgées montrent des changements neuropathologiques, parfois importants, sans avoir manifesté de « démence ».

Ces constats ont amené bon nombre de chercheurs et de cliniciens à défendre une approche qui réintègre les manifestations de la « maladie d’Alzheimer », mais aussi d’autres « maladies neurodégénératives », dans le cadre plus général du vieillissement cérébral, tout en considérant l’influence de différents facteurs de risque (absence d’activité physique et cognitive, stress, nutrition inadéquate, isolement social, problèmes de santé physique, toxiques environnementaux, etc.), qui contribuent à accroître les effets négatifs des phénomènes neurodégénératifs naturels. Le vieillissement cérébral/cognitif est ainsi envisagé en termes de continuum et non plus sur base de catégories diagnostiques spécifiques et son caractère plus ou moins problématique et évolutif est considéré comme dépendant de nombreux facteurs (biologiques, psychologiques, sociaux, environnementaux).

Cette conception, selon laquelle les aspects problématiques du vieillissement cérébral/cognitif sont associés à des réseaux complexes de mécanismes causaux se renforçant mutuellement, reconnaît également que les relations entre mécanismes causaux et déficits cognitifs/affectifs/fonctionnels ont un caractère probabiliste : autrement dit, des causes peuvent simplement changer le risque ou la probabilité que des déficits apparaissent. Enfin, elle considère aussi que le même ensemble de déficits ou symptômes peut provenir de mécanismes étiologiques différents (voir Kendler, Zachar, & Craver, 2011 ; et notre chronique « Penser le vieillissement cérébral/cognitif problématique dans toute sa complexité ! »).

Cette manière différente de concevoir le vieillissement cérébral/cognitif amène aussi à s’interroger sur la fiabilité de la démarche diagnostique suivie par l’approche biomédicale dominante et, plus spécifiquement, sur le risque de diagnostics erronés auquel cette approche conduit. En effet, au vu de la complexité des facteurs impliqués dans la survenue de manifestations plus ou moins problématiques et évolutives du vieillissement cérébral/cognitif et du caractère essentiellement probabiliste des liens entre mécanismes causaux et déficits, la démarche consistant à attribuer de façon univoque un diagnostic de « maladie neurodégénérative » (p.ex., de « maladie d’Alzheimer ») à une personne (sur base de critères cognitifs, fonctionnels, cérébraux ou même neuropathologiques) est tout particulièrement confrontée à un risque d’erreurs de diagnostic, à savoir annoncer l’existence d’une « maladie spécifique » impliquant une détérioration cognitive et fonctionnelle progressive à une personne chez qui cette détérioration ne s’observera pas ultérieurement.

Ce risque d’erreurs sera d’autant plus élevé que la démarche diagnostique se fonde sur une évaluation cognitive, cérébrale et fonctionnelle réduite, se basant sur des critères restrictifs et ne prenant pas en compte la multiplicité des facteurs impliqués dans le fonctionnement cognitif et le statut cérébral des personnes âgées (voir Wolf et al., 2008 ; Larner, 2004). L’utilisation clinique de catégories diagnostiques particulièrement problématiques aux plans conceptuel et méthodologique, telles que celle de « Mild Cognitive Impairment » (MCI ; « trouble cognitif léger »), est susceptible d’accroître encore davantage ce risque (voir notre chronique «Le trouble cognitif léger ou ‘mild cognitive impairment’ : une flagrante myopie intellectuelle »).

Peu d’études se sont penchées sur ces erreurs de diagnostic, sur la manière qu’ont les cliniciens d’y faire face et de les annoncer (quand c’est le cas) ainsi que sur les conséquences de ces erreurs diagnostiques (annoncées ou pas) pour la personne, ses proches et son réseau social. Dans ce contexte, il nous est apparu intéressant de rapporter la description effectuée par Merckelbach, Jelicic et Jonker (2012) d’un cas de diagnostic erroné de « maladie d’Alzheimer ».


Un cas de diagnostic erroné de « maladie d’Alzheimer » (Merckelbach, Jelicic, & Jonker, 2012)

Au tout début de l’année 2000, une femme, âgée de 58 ans, consulte un neurologue d’un hôpital général du fait de ses difficultés de mémoire. Elle est propriétaire d’un magasin et a récemment noté que, pour la première fois dans sa vie, elle a besoin d’un calendrier pour se souvenir de ses rendez-vous. Dix ans plus tôt, sa mère a reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et elle a peur de présenter les premiers signes de cet état. A part des plaintes rhumatismales, son histoire médicale est sans particularité.

L’exploration entreprise par le neurologue a inclus une tomographie d’émission monophotonique (SPECT), qui a mis en évidence une hypoperfusion frontale. Le neurologue a interprété cette hypoperfusion comme le signe d’une maladie d’Alzheimer légère à modérée. Dans le dossier de la patiente, il a estimé le score au MMSE à 22, tout en n’ayant pas formellement administré cette échelle. Il a prescrit 2 x 6mg/jour de rivastigmine (Exelon). Dans les mois qui ont suivi, la confusion a continuellement régné dans l’esprit de la patiente et elle s’est sentie anéantie par ce diagnostic. Le neurologue l’a incluse dans une recherche sur la "maladie d'Alzheimer", qui a notamment impliqué des prises de sang. Pour la patiente, le fait d’être un sujet de recherche a accentué encore davantage l’importance qu’elle a accordée au diagnostic et aux examens médicaux.

Entretemps, son mari a reçu un diagnostic de cancer de la prostate. Comme elle s’inquiétait du fait que les effets secondaires de sa médication pourraient entraver ses capacités de prendre soin de son mari, elle a contacté la ligne d’assistance téléphonique d’un centre de ressources Alzheimer. L’expert de ce centre lui a conseillé de chercher un second avis. A l’été 2000, elle a consulté un neurologue d’une clinique universitaire (un des auteurs de l’article : Cees Jonker). Celui-ci a effectué une anamnèse complète ainsi qu’un examen neurologique. Il a également demandé une deuxième SPECT et une évaluation neuropsychologique (impliquant des tests de mémoire, de perception, d’attention, de langage et de fonctions exécutives, un MMSE et le « Cognitive Screening Test, CST»). Tous ces examens n’ont rien mis d’anormal en évidence. Le neurologue a conclu que l’hypoperfusion frontale mise en évidence par la première SPECT était le reflet aspécifique d’une dépression légère. En effet, quand la patiente a commencé à s’inquiéter de ses difficultés de mémoire, elle traversait une période stressante : elle avait un conflit avec un membre de sa famille, ses activités commerciales étaient très intenses et elle était fatiguée.

Le neurologue de l’hôpital universitaire a passé beaucoup de temps à expliquer ces informations à la patiente. Cependant, il rencontra beaucoup de difficultés à la convaincre qu’elle ne souffrait pas de la « maladie d’Alzheimer ». Ce fut seulement après deux longues séances, durant lesquelles les résultats des tests lui ont été expliqués en détail, que la patiente a commencé à douter du fait qu’elle souffrait de cette « maladie ». Même après ces séances, elle vivait des moments durant lesquels elle était profondément inquiète d’avoir la « maladie d’Alzheimer », en dépit du fait que, indubitablement, elle fonctionnait normalement.

Deux des auteurs de l’étude (Hans Merckelbach et Marko Jelicic) ont récemment interrogé la patiente. Elle a indiqué qu’elle présentait souvent des pensées intrusives concernant le diagnostic erroné. Elle a également tendance à « catastrophiser » de légères difficultés de mémoire. En outre, elle a développé une suspicion et une peur importantes vis-à-vis des hôpitaux, des interventions médicales et, en particulier, des prises de sang (allant jusqu’à présenter les signes d’une phobie du sang).

En 2009 et 2010, deux commissions d’enquête officielles ont mis en évidence que le neurologue de l’hôpital général avait commis des erreurs de diagnostic de « maladie d’Alzheimer » chez de nombreuses personnes. Il a été forcé de démissionner et, en tout, 26 poursuites pour faute professionnelle ont été engagées contre lui et l’hôpital général. La patiente décrite ici n’a pas été impliquée dans ces poursuites, dans la mesure où l’erreur diagnostique dont elle a été victime s’est produite plusieurs années avant qu’elle ne prenne conscience du fait que d’autres personnes avaient engagé des poursuites à l’encontre du neurologue.


Diagnostic erroné et faux souvenirs

Selon Merckelbach et al. (2012), la conviction forte de la patiente selon laquelle le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » était correct, en dépit des données contradictoires auxquelles elle a été confrontée, peut être interprétée dans le contexte plus général des faux souvenirs persistants.

De nombreuses études ont montré que le fait de confronter de façon répétée des personnes à une information fausse concernant un événement fictif  pouvait mener bon nombre d’entre elles à développer une récupération détaillée (une « recollection) de cet événement non personnellement vécu. Ces faux souvenirs ont tendance à être robustes : beaucoup de personnes vont adhérer à ce faux souvenir, même si elles sont confrontées à des données contradictoires leur indiquant qu'elles n'ont pas vécu l'événement. C’est, par exemple, le cas de personnes qui ont développé des faux souvenirs d’abus sexuels précoces fictifs suite à une psychothérapie suggestive (Brédart, 2004). Il a été observé que cela prenait plus de temps pour les personnes de rétracter ce type de souvenirs que de les mettre en place (Ost, Costall, & Bull, 2012).

Par ailleurs, fournir une information erronée peut affecter la manière avec laquelle les personnes perçoivent des symptômes. Ainsi, comme le rapportent Merckelbach et al., quand on fournit à des personnes asthmatiques des feedback erronés concernant leurs sons respiratoires, beaucoup d’entre-elles manifestent des difficultés respiratoires indépendamment de leur fonctionnement pulmonaire (Rietveld & Brosschot, 1999).

Plusieurs parallèles peuvent être établis entre le diagnostic erroné et les faux souvenirs. Ainsi, la littérature sur les faux souvenirs montre que la suggestion d’une information fausse est d’autant plus puissante dans la formation d’un faux souvenir qu’elle est fournie par une personne en qui on a confiance. Dans le cas décrit par Merckelbach et al., le neurologue s’est présenté lui-même comme un ami de la famille royale des Pays-Bas, ce qui avait impressionné la patiente. De plus, l’information erronée affecte davantage la mémoire quand elle est répétée et connectée à des détails exacts. Dans le cas qui nous occupe, le neurologue a indiqué de façon répétée à la patiente qu’elle souffrait de la « maladie d’Alzheimer ». Dans la mesure où cette information a été introduite au sein de discussions concernant la mère de la patiente (qui a aussi reçu ce diagnostic), les résultats de la SPECT et son implication dans une recherche sur la « maladie d’Alzheimer », la patiente a développé la ferme conviction que le diagnostic devait être correct. En outre, il a été constaté que certaines personnes insistaient sur le fait que le faux souvenir s’était réellement produit même après le débriefing (l’annonce du caractère fictif de l’événement). Dans la même perspective, il s’est avéré difficile de modifier la conviction de la patiente. Enfin, il a été observé que l’information fausse  ne pouvait contaminer la mémoire que si cette information est plausible. Or, la patiente avait des plaintes mnésiques et une histoire familiale de « maladie d’Alzheimer », ce qui a constitué un contexte favorable à l’efficacité de l’information erronée.

Comme le relèvent Merckelbach et al., cette description de cas ne constitue qu’une illustration isolée des similitudes entre diagnostic erroné et faux souvenirs. Ces rapprochements mériteraient une exploration plus systématique, en particulier dans le domaine de la « maladie d’Alzheimer » et aussi de « MCI ». En effet, il y a bien des raisons de suspecter que des diagnostics erronés (conduisant à annoncer l’existence d’une « maladie neurodégénérative spécifique » ou d’un « état prodromique » à une personne chez qui aucune détérioration cognitive et fonctionnelle ne se manifestera) se produisent fréquemment. Ainsi, nous recevons beaucoup de témoignages et notre expérience professionnelle nous a confrontés à bon nombre de situations traduisant la mise en place de démarches d’évaluation inacceptables et propices à l'établissement de diagnosics erronés.

Il serait également utile d’explorer la situation de personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer », chez lesquelles manifestement aucune détérioration significative n’est observée ultérieurement, mais dont le diagnostic n’a pas été retiré : comment gèrent-elles, ainsi que leurs proches, cette situation dissonante ?

Attribuer une étiquette diagnostique ne constitue pas un acte neutre. Beaucoup d’étiquettes diagnostiques, dont celle de "maladie d'Alzheimer", véhiculent des stéréotypes très négatifs et peuvent automatiquement façonner, de façon importante, le vécu et les comportements futurs des personnes.

De manière plus générale, c’est le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » en tant que tel qui doit être mis en question. S’affranchir d’une approche catégorielle, réductionniste et pathologisante du vieillissement cérébral/cognitif pour prendre en compte la multitude de facteurs (biologiques, psychologiques sociaux, culturels et environnementaux) qui en module l’évolution plus ou moins problématique tout au long de la vie, c’est à la fois changer de paradigme théorique, de méthodes de recherche mais aussi de pratiques cliniques et sociales.  

Au plan de l’évaluation clinique, ce changement d’approche devrait conduire à l’élaboration d’une formulation de cas prenant en compte différents types de processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels), qui tente de les intégrer dans une interprétation psychologique cohérente, tout en considérant le  rôle des facteurs sociaux, des événements de vie et des facteurs biologiques. Par ailleurs, plutôt que d’annoncer l’existence d’une « maladie » effrayante et implacable, la transmission des résultats de cette évaluation devrait plutôt mettre l’accent sur ce qui relie la personne aux autres, se focaliser sur les capacités préservées et  les multiples moyens qui peuvent être mis en œuvre pour optimiser son vieillissement et insister sur le fait que, même avec un vieillissement cérébral/cognitif problématique, la personne peut garder une vitalité, une insertion sociale, un sens à son existence et un épanouissement personnel (voir notre chronique « Des changements dans les pratiques d’évaluation et d’intervention des psychologues spécialisé(e)s en neuropsychologie et psychogérontologie sont en marche ! »).


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Brédart, S. (2004). La récupération de souvenirs d’abus sexuels infantiles chez l’adulte. In S. Brédart & M. Van der Linden (Eds.), Souvenirs récupérés, souvenirs oubliés et faux souvenirs. (pp. 13-46). Marseille : Solal.

Kendler, K.S., Zachar, P., & Craver, C. (2011). What kinds of things are psychiatric disorders? Psychological Medicine, 41, 1143-1150.

Larner, A.J. (2004). Getting it wrong: the clinical misdiagnosis of Alzheimer' s disease. International Journal of Clinical Practice, 58, 1092-1104.

Loftus, E.F. (2003). Our changeable memories: legal and practical implications. Nature Reviews Neuroscience, 4, 231-234.

Merckelbach, H., Jelikic, M., & Joncker, C. (2012). Planting a misdiagnosis of Alzheimer's disease in a person's mind. Acta Neurosychiatrica, 24, 60-12.

Ost, J., Costall, A., & Bull, R. (2002). A perfect symmetry? A study of retractors’s experiences of making and then repudiating claims of early sexual abuse. Psychology, Crime & Law, 8, 155-181.

Rietveld, S., & Brosschot, J.F. (1999). Current perspectives on symptom perception in asthma: a biomedical and psychological review. International Journal of Behavioral Medicine, 6, 120-135.

Wolf, S.A., Henry, M., Deike, R., Ebert, A.D., & Wallesch, C.-W. (2008). Verdachtsdiagnose Alzheimer-demenz. Bei welchen patienten erfolgt eine neuropsychologische abklärung? (Suspected Alzheimer's disease. Selection of outpatients for neuropsychological assessment). Nervenarzt, 79, 444-453.

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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 21:08

Résumé de la chronique

De nombreuses études en sciences sociales ont montré en quoi la médecine moderne a influencé la perception ou la construction sociale du vieillissement en tant que phénomène négatif. Ainsi, les conceptions péjoratives de l’avancée en âge reflètent et renforcent la bio-médicalisation du vieillissement, au détriment de sa célébration, de l’acceptation du déclin naturel qui l’accompagne et de la reconnaissance du fait qu’on peut rester engagé dans la vie et vivre bien en présence de problèmes cognitifs.

Au vu du caractère très problématique et incertain du diagnostic de « Mild Cognitive Impairment » (« MCI »), les implications sociales de cette étiquette sont vraisemblablement aussi très profondes. Cependant, peu de travaux se sont penchés sur les conséquences sociales de ce diagnostic ainsi que sur l’expérience subjective des personnes qui l’ont reçu.

Joosten-Weyn Banningh et al. (2008) et Beard et Neary (2012) ont mené deux études visant à explorer, via des entretiens qualitatifs, la manière dont les personnes gèrent le diagnostic de « MCI ». Joosten-Weyn Banningh et al. ont observé que les personnes ayant reçu ce diagnostic rencontrent une série de difficultés (sociales, psychologiques et pratiques) induisant du stress, auxquelles elles attribuent des causes diverses dont certaines peuvent également induire anxiété et dépression, et auxquelles elles font face via différentes stratégies de coping plus ou moins adaptées. Beard et Neary (2012) ont quant à eux montré en quoi les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » manifestent une grande confusion et de l’incertitude vis-à-vis de ce diagnostic, résistent au processus de médicalisation véhiculé par ce concept et refusent toute association entre leur expérience et la « maladie d’Alzheimer ».

Ainsi, fournir un diagnostic aussi incertain et peu valide que celui de MCI (renvoyant à un soi-disant état prodromique de « démence ») ne peut que placer les personnes dans un état de grande confusion et contribuer à amplifier le stress, les inquiétudes et les problèmes relationnels. Ce diagnostic crée des tensions qui amènent les personnes qui le reçoivent à lutter pour préserver leur identité et éviter la stigmatisation.

 

Nous avons, à de multiples reprises et de façon nette, mis en question le concept de « Mild Cognitive Impairment » (MCI ; « trouble cognitif léger ») et avons indiqué en quoi l’utilisation de ce concept, tant au plan clinique qu’au plan de la recherche, était inacceptable : cela conduit en effet à réduire la complexité et les nuances du vieillissement cérébral et cognitif, ainsi qu’à pathologiser et stigmatiser un nombre croissant de personnes âgées (voir nos chroniques « Le trouble cognitif léger ou mild cognitive impairment : une flagrante myopie intellectuelle » ; « La pathologisation du vieillissement cognitif est en marche ! » ; « Pour en finir avec le diagnostic catégoriel de MCI »).

Dans une publication récente, deux sociologues états-uniennes se sont penchées sur la question du vécu des personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » (Beard & Neary, 2012). Les auteures situent tout d’abord leur recherche dans le contexte des nouvelle directives qui ont été récemment édictées concernant le diagnostic de la « maladie d‘Alzheimer » par des experts mandatés par  le « National Institute of Aging » et l’« Alzheimer’s Association » des Etats-Unis (voir nos chroniques « L’empire Alzheimer ne désarme pas » et « Le défi de 2012 : poursuivre et amplifier la résistance à l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif »).

Ces directives incluent notamment les critères diagnostiques de deux états qui seraient des « précurseurs de la maladie d’Alzheimer » : le « Mild Cognitive Impairment (MCI) » et la « maladie d’Alzheimer préclinique ou sans symptômes ». Beard et Neary relèvent en quoi ces nouvelle catégories diagnostiques font l’objet d’un intérêt (clinique et de recherche) croissant, en dépit des très nombreux et importants problèmes conceptuels, méthodologiques et éthiques auxquels est confrontée l’utilisation de ces entités diagnostiques, avec en particulier le fait que la majorité des personnes qui reçoivent ce diagnostic n’évoluent pas vers une « démence » et soit restent stables, soit s’améliorent. Par ailleurs, ces nouvelles entités s’inscrivent dans une médicalisation galopante et sans fin du vieillissement cognitif, au sein d’une société qui attribue une importance primordiale à la cognition et à la pensée rationnelle et ce, en l’absence de données indiquant qu’un traitement médical précoce puisse être bénéfique. Enfin, ces catégories conduisent à stigmatiser et marginaliser les personnes qui reçoivent ces étiquettes diagnostiques, en particulier du fait des représentations apocalyptiques que véhicule le concept de « maladie d’Alzheimer » (la personne ayant cette « maladie » étant considérées comme un « mort vivant » ou un « zombie » ; voir nos chroniques « Le langage quotidien peut être destructeur… » ; « Changer notre vocabulaire concernant le vieillissement et les personnes âgées : la nécessité d’un débat citoyen ! »).  

Pour Beard et Neary, les institutions, telles que la médecine moderne, représentent des forces sociales puissantes dans la vie des citoyens du monde occidental. Ainsi, quand des diagnostics cliniques sont attribués, les mots du quotidien (tels que « MCI ») deviennent des étiquettes sociales qui ont le pouvoir de différentier et de discriminer les personnes. Et certains diagnostics sont davantage à même de reléguer ceux/celles qui les ont reçus au statut d’être humain de « classe inférieure » ou même de sous-humain. De nombreuses études en sciences sociales ont bien montré en quoi la médecine moderne, comme institution de contrôle social, a influencé la perception ou la construction sociale du vieillissement en tant que phénomène négatif. Ainsi, les conceptions péjoratives de l’avancée en âge reflètent et renforcent la bio-médicalisation du vieillissement, au détriment de sa célébration, de l’acceptation du déclin naturel qui l’accompagne et de la reconnaissance du fait que l’on peut rester engagé dans la vie et vivre bien, même en présence de problèmes cognitifs.

Au vu du caractère très problématique et incertain du diagnostic de « MCI », les implications sociales de cette étiquette sont vraisemblablement très profondes. Cependant, peu de travaux se sont penchés sur les conséquences sociales de ce diagnostic, ainsi que sur l’expérience subjective des personnes qui l’ont reçu. Dans une étude pionnière, Joosten-Weyn Banningh et al. (2008) ont exploré, via des entretiens guidés, la manière dont 8 personnes ayant reçu un diagnostic de MCI s’adaptaient à leur situation. Le fonctionnement de ces personnes a été caractérisé selon 4 thèmes principaux:

* Les changements : en lien non seulement avec les habiletés cognitives (de divers types), mais aussi avec la mobilité (moins de mobilité), les affects (tristesse, dépression), la vitalité (perte d’énergie) et les plaintes somatiques (céphalées).

* Les attributions ou la façon d’expliquer les changements ressentis (les personnes rapportant simultanément plusieurs types d’attributions) : ainsi, les changements sont attribués au vieillissement normal, aux traits de personnalité, à la surcharge d’informations, à un début de « démence », à la perte d’intérêt, à une perte auditive, au fait que les autres parlent trop bas, à la médication, à une opération chirurgicale ; les personnes rapportent également des pensées et réflexions récurrentes concernant l’incapacité de trouver l’origine de leurs problèmes et de concevoir leur futur.

* Les conséquences (toutes négatives) : sur la personne elle-même (anxiété, diminution de la confiance en soi, tristesse, colère envers soi-même, sentiment de menace, sentiment d’échec, sentiment de solitude, etc.) ; sur les interactions avec autrui (sentiment d’être contrôlé par son époux/se avec la colère qui s’ensuit, irritation quand l’époux/se est certain/e qu’il/elle a raison, sentiment que les autres ont identifié ses difficultés, inquiétude quant au fait que les autres ne prendront plus compte de son avis, inquiétude quant au fait de devenir une charge pour ses enfants, etc.) et sur les activités (arrêter de jouer au bridge, cesser la gestion administrative d’une association).

* Les stratégies de coping (« comment faire face », avec la mise en place de diverses stratégies plus ou moins adaptées) : stratégies d’évitement (« au lieu de me joindre à une conversation, j’écoute »), stratégies focalisées sur les émotions (se résigner, identifier les choses qui vont bien), dénier les problèmes (« je ne pense jamais à mes problèmes de mémoire »), chercher des informations médicales (p. ex., auprès du médecin traitant), faire de l’entraînement cognitif (effectuer des mots croisés), mettre en place des stratégies cognitives internes (répéter l’information à mémoriser) ou externe (mieux s’organiser, prendre des notes).

De façon générale, Joosten-Weyn Banningh et al. concluent que les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » rencontrent une série de difficultés (sociales, psychologiques et pratiques) induisant du stress et auxquelles elles attribuent des causes diverses, dont certaines peuvent également induire anxiété et dépression.

En fait, fournir un diagnostic aussi incertain et peu valide que celui de MCI (renvoyant à un soi-disant état prodromique de « démence ») ne peut que placer les personnes dans un état de grande confusion et contribuer à amplifier le stress, les inquiétudes et les problèmes relationnels. Plus globalement, ce que les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » paraissent avoir en commun avec celles ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » est, d’un point de vue sociologique, de sentir leur bien-être personnel et interpersonnel menacé, y compris avec un sentiment de dévalorisation (Beard & Fox, 2008).

Dans leurs entretiens qualitatifs menés auprès de 18 personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI », Beard et Neary (2012) ont apporté des informations complémentaires sur la manière dont les personnes gèrent le diagnostic de « MCI ». Les analyses menées au moyen de méthodes issues de la « grounded theory » (analyse enracinées sur les données de terrain) ont mis en évidence 4 thèmes fréquents :

*S’interroger sur le fait que son état est ou non une maladie. La plupart des participants identifient leurs difficultés cognitives comme une conséquence du processus de vieillissement normal plutôt que comme un trouble cérébral. Ils ne considèrent pas que les difficultés occasionnelles rapportées constituent des problèmes importants et ils les attribuent plutôt à leur identité vieillissante. Certains participants utilisent l’humour pour gérer leurs difficultés. Dans la ligne de l’étude de Joosten-Wein Banningh et al. (2008), les personnes adoptent une variété de stratégies de coping telles que des stratégies orientées vers les émotions (acceptation et résignation en tant que moyen de normaliser leurs difficultés plutôt que de s’y confronter) et des stratégies de résolution de problèmes (prendre des notes). Par contre, contrairement à Joosten-Wein Banningh et al., Beard et Neary n’ont pas observé de déni ou de stratégies d’évitement. Enfin, la plupart des personnes interrogées prétendent que leurs difficultés cognitives ne leur sont pas propres mais qu’elles sont partagées par quasiment toutes les personnes de leur âge. 

* Définir le « MCI » avec peine. Interrogés sur leur diagnostic, les participants rapportent une absence de clarté retentissante sur ce qui constitue le « MCI », et ce en dépit du fait qu’ils le connectent de façon prédominante aux processus de vieillissement normal. En fait, un grand nombre d’entre eux ne sont même pas certains que le terme « MCI » a été défini par les médecins. Quelques personnes définissent le « MCI » comme un trouble lié à la mémoire, mais de façon très vague. Ainsi, on constate une résistance au processus de médicalisation véhiculé par le concept de « MCI », mais aussi une grande confusion et de l’incertitude : « Je n’ai aucune idée…. Un précurseur ? Mon sentiment est qu’il y a beaucoup d’idées non vérifiées et que personne ne sait réellement. Avez-vous une maladie d’Alzheimer précoce ? Avez-vous un MCI ? Y-a-t-il une différence. C’est une zone grise. C’est comme essayer de donner du sens à ce qui n’en a pas ».

* Distancer son vécu du celui de la « maladie d’Alzheimer ». En dépit de leur confusion, les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » refusent de façon véhémente toute association entre leur expérience et la « maladie d’Alzheimer ». Ainsi, beaucoup considèrent que la prise de conscience de leurs difficultés est ce qui les distingue leur état (envisagé comme le reflet du vieillissement normal) de la « maladie d’Alzheimer ». La plupart des participants considèrent néanmoins qu’ils existent certaines difficultés, dépassant un certain seuil de gravité, qui sont le signe d’un problème « réel ».   

* Se débattre avec les implications du diagnostic de « MCI » par rapport à celui de « maladie d’Alzheimer ». Les participants se fondent principalement sur une explication médicale pour définir la « maladie d’Alzheimer » mais ils sont dans une grande incertitude concernant son étiologie. Cependant, ils sont unanimes à parler de la peur associée à la « maladie d’Alzheimer », considérée comme un diagnostic en forme de sentence de mort. Cette conception n’est pas surprenante et est le reflet de la vision apocalyptique de la « maladie d’Alzheimer » offerte par l’approche biomédicale dominante et transmise au grand public par les médias « (une lente mort de l’esprit et de l’identité). Etant donné cette perception négative écrasante de la «maladie d’Alzheimer » dans nos sociétés occidentales, les personnes ayant reçu un diagnostic de « MCI » tentent stratégiquement de différencier leur état de cette « maladie » afin d’éviter une stigmatisation par association.

Ainsi, l’étude de Beard et Neary (2012) nous indique en quoi le diagnostic de « MCI » est à même de créer des tensions amenant les personnes qui le reçoivent à lutter pour préserver leur identité et à mettre en place des stratégies visant à « gérer ce qui est ingérable ».

Les travaux de Joosten-Wein Banningh et al. (2008) et Beard et Neary (2012) ont porté sur des groupes de taille réduite et seules des études de plus grande envergure seraient à même de déterminer les diverses façons de réagir à un diagnostic de « MCI », les différentes stratégies pour y faire face ainsi que les facteurs multiples qui peuvent déterminer la réaction des personnes.

Mais l’essentiel n’est pas là ! Il s'agit plutôt de lutter contre l'utilisation clinique de ce concept réducteur et médicalisant et de concevoir autrement l'évaluation des difficultés cognitives des personnes âgées, en mettant l’accent sur la multitude des facteurs qui modulent le fonctionnement cognitif, sur ce qui relie la personne aux autres, sur les capacités préservées et  les multiples moyens qui peuvent être mis en œuvre pour optimiser son vieillissement et sur le fait que même avec un vieillissement cérébral/cognitif problématique, la personne peut garder une vitalité, une insertion sociale, un sens à son existence et un épanouissement personnel.   

 

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Bear, R.L., & Fox, P.J. (2008). Resisting social disenfranchisement: negociating collective identities and everyday life with memory loss. Social Science & Medicine, 66, 1509-1520.

Beard, R.L., & Neary, T.M. (2012). Making sense of nonsense: experiences of mild cognitive impairment. Sociology of Health & Illness, 20, 1-17.

Joosten-Weyn Banningh, L., Vernooij-Dassen, M., Olde Rikkert, M., & Teunisse, J.-P. (2008). Mild cognitive impairment: coping with an uncertain label. International Journal of Geriatric Psychiatry, 23, 148-154.

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