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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 16:41

la nécessité de développer des interventions non-pharmacologiques et individualisées

La présence d’une dépression ou de symptômes dépressifs est fréquente chez les personnes présentant un vieillissement cérébral / cognitif problématique (une « démence » ; voir Lyketsos et al., 2002). Par ailleurs, outre la souffrance psychologique, le risque de suicide et la mortalité, la dépression et les symptômes dépressifs accroissent également les troubles fonctionnels chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » (Arrighi, McLaughlin & Leibman, 2010).

Les antidépresseurs constituent le traitement qui est le plus couramment administré aux personnes présentant une « démence » et une dépression (voir notre rubrique « Une consommation élevée de médicaments dans les structures d’hébergement et de soin à long terme pour personnes âgées en Belgique »). Et pourtant, comme viennent de le montrer Nelson et Devanand (2011), il n’existe pas actuellement de données qui confirment l’efficacité des antidépresseurs chez ces personnes.

Nelson et Devanand ont entrepris une revue systématique et une méta-analyse des études ayant examiné l’efficacité des antidépresseurs chez les personnes avec « démence » et dépression. Sur base de leurs différents critères, ils ont retenu 7 essais thérapeutiques incluant en tout 330 participants. Leur conclusion est claire : les données actuelles ne permettent pas de confirmer l’efficacité des antidépresseurs dans cette population. Globalement, aucun essai n’avait une puissance statistique suffisante et plusieurs facteurs possiblement confondants étaient présents (comorbidité, différences méthodologiques entre les études concernant notamment le type de dépression examiné, la méthode utilisée pour évaluer l’effet du médicament, la durée de l’essai, le type d’antidépresseur testé).

En l’absence de données convaincantes, on pourrait faire l’hypothèse que les personnes avec « démence » et dépression réagissent aux antidépresseurs comme les personnes sans « démence ». Or, plusieurs revues systématiques (menées auprès de personnes d’âges variés, sans « démence ») ont montré que les antidépresseurs conduisaient à des effets bénéfiques minimes voire inexistants,  en comparaison à un placebo, et ce chez les personnes présentant des symptômes dépressifs légers ou modérés (Kirsch et al., 2008 ; Fournier et al., 2010 ; voir également notre chronique « L’efficacité des antidépresseurs : un autre mythe à démonter ! »). Les antidépresseurs pourraient cependant être davantage efficaces dans les dépressions très sévères (Fournier et al., 2010 ; voir cependant Kirsch et al., 2008, pour qui cette relative efficacité dans la dépression très sévère serait liée, non pas à une réponse accrue au médicament, mais plutôt à une réponse diminuée au placebo). Il faut enfin relever que la consommation à long terme d’antidépresseurs peut mener à des effets indésirables tels que des saignements gastro-intestinaux, des chutes et une déminéralisation des os, conduisant à un risque accru de fractures (Lenze, 2011).

L’ensemble de ces données montrent bien en quoi il est indispensable de développer des interventions non pharmacologiques (psychologiques et sociales) pour les symptômes dépressifs manifestés par les personnes « démentes ». Selon nous, ces interventions doivent être taillées sur mesure en fonction des caractéristiques spécifiques de la personne et de son environnement : il s’agit donc d’une approche individualisée, à plusieurs facettes d’interventions complémentaires, focalisée sur différents facteurs (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral / cognitif problématique ? »).

En ce qui concerne plus spécifiquement les facteurs psychologiques, cette approche plurielle et intégrée de l’intervention s’éloigne des approches traditionnelles en psychothérapie qui se fondent sur des courants (interpersonnel, systémique, comportemental,  cognitivo-comportemental, non directif, psychodynamique, etc.) privilégiant des modes d’action relativement spécifiques. En fait, différentes études ont montré qu’il n’existait pas de différences majeures dans l’efficacité de ces différentes psychothérapies et que leur efficacité était au mieux légère à modérée (voir, par ex., Cuijpers et al., 2008, pour l’efficacité dans la dépression légère et modérée des interventions  interpersonnelle, psychodynamique, résolution de problèmes, apprentissage d’habiletés sociale, cognitivo-comportementale, activation comportementale et non directive). Selon nous, ce constat résulte du fait que les interventions traditionnelles ne sont pas adaptées aux problèmes spécifiques de chaque personne et ne prennent pas réellement en compte l’hétérogénéité et le caractère plurifactoriel de leurs difficultés. Dans cette perspective, l’efficacité limitée et relativement équivalente des différents type de psychothérapies renverrait à la fois à ce qu’elles ont en commun (des mécanismes généraux de changement liés au fait que la personne peut envisager de nouvelles perspectives, est écoutée et comprise, se confronte à la situation, etc.) et au fait que chaque psychothérapie est partiellement efficace, mais pour des raisons différentes, n’abordant ainsi qu’une partie des facteurs impliqués dans les difficultés psychologiques d’une personne. Il faut en outre relever que les interventions psychologiques classiquement utilisées chez des personnes « non démentes » ne seront pas nécessairement adaptées à des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique.

On doit aussi s’interroger sur le statut actuel des symptômes dépressifs, qui sont de plus en plus souvent attribués à un état pathologique (ou à une maladie étiquetée « dépression ») : il s’agit là d’un autre exemple de médicalisation du fonctionnement psychologique. Or, dans la majorité des cas, les manifestations dépressives et la souffrance psychologique qui y est associée constituent une réaction normale (pouvant parfois être intense) à des situations personnelles et sociales difficiles. Ce point est brillamment abordé par Allan Horwitz et Jerome Wakefield, deux professeurs états-uniens renommés, dans un livre intitulé  « The loss of sadness : How psychiatry transformed normal sorrow into depressive disorder », Ed. Oxford Press, 2007, dont une traduction en langue française existe aux éditions Mardaga (2010) sous le titre « Tristesse ou dépression ? Comment la psychiatrie a médicalisé nos tristesses» . Il s’ensuit qu’il est essentiel de prendre en compte l’ensemble des nombreux facteurs sociaux et environnementaux qui peuvent mener une personne âgée à manifester tristesse, perte d’intérêt et de motivation, souffrance psychologique, perte d’estime de soi, etc.

Au plan de l’évaluation, cette conception conduit à l’adoption d’une démarche d’évaluation clinique qui favorise la formulation d’une interprétation clinique individuelle (une formulation de cas), prenant en compte différents types de processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels) empiriquement fondés, et qui tente de les intégrer dans une interprétation psychologique cohérente, conduisant aussi à l’identification du rôle des facteurs sociaux, des événements de vie et des éventuels facteurs biologiques.

Cette démarche d’évaluation et d’intervention s’inscrit dans le contexte d’un modèle psychologique des difficultés psychologiques (le modèle des processus psychologiques médiateurs ; Kinderman, 2005), qui considère que les dysfonctionnements psychologiques constituent la voie commune finale vers le développement des troubles mentaux. Plus spécifiquement, selon ce modèle, les facteurs biologiques, les facteurs sociaux et les événements de vie peuvent conduire à des difficultés psychologiques via leurs effets conjoints sur différents processus psychologiques. En d’autres termes, les processus psychologiques sont conçus comme des médiateurs de la relation entre, d’une part, les facteurs biologiques, les facteurs sociaux et les événements de vie et, d’autre part, les troubles psychologiques (voir Van der Linden & Billieux, 2011). 

Cette approche vise à assumer la complexité des phénomènes et à contrecarrer la conception actuellement dominante qui tend à attribuer une position privilégiée aux facteurs neurobiologiques, en considérant les facteurs sociaux et psychologiques comme de simples modérateurs du rôle causal direct des processus neurobiologiques. Elle vise également à s’affranchir des catégories diagnostiques réductrices et arbitraires issues des systèmes de classification tels que le DSM. Ainsi, par exemple, la démarche diagnostique catégorielle (de type DSM) cherchera à distinguer la prétendue « maladie dépressive » de la prétendue « maladie d’Alzheimer » et de la prétendue et nouvellement élaborée « maladie de l’apathie » (voir Mulin et al., 2011). Ce faisant, elle établit des frontières arbitraires entre le « normal » et le « pathologique » (voir notre chronique « Pour une approche multifactorielle et en continuum des problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées ») et elle conduit à réduire l’extrême complexité et l’hétérogénéité des facteurs en jeu dans les diverses manifestations que recouvrent ces catégories de « maladie d’Alzheimer », de « dépression » et d’ «apathie ». L’approche que nous défendons est néanmoins confrontée à un défi considérable, à savoir celui de déterminer un ensemble de dimensions psychologiques homogènes et empiriquement fondées et élaborer des outils permettant de les évaluer  (dans leurs composantes plus ou moins conscientes). Il s’agira aussi d’élaborer des méthodes d’évaluation qui prennent en compte les difficultés cognitives des personnes des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique.

De façon plus générale, la question se pose dans les mêmes termes pour d’autres manifestations psychoaffectives et comportementales de la « démence », telles que l’irritabilité, les distorsions de la réalité  (hallucinations, idées délirantes), la déambulation, l’agitation, l’anxiété, etc. (voir notre chronique « Pour une approche multifactorielle et en continuum des problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées).

Dans un travail récent commandité par le « Department of Veterans Affairs » (Veterans Health Administration, Washington), une revue systématique a été effectuée concernant l’efficacité de différentes interventions non-pharmacologiques pour les troubles comportementaux et psychoaffectifs dans la « démence » http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK54971/pdf/TOC.pdf. Ont ainsi été examinées une série de techniques d’intervention, dont notamment la thérapie de réminiscence, la thérapie de validation, la thérapie par la musique, la stimulation multisensorielle « snoezelen », les techniques comportementales, etc. Le constat est également clair : il n’existe pas actuellement de données solides confirmant l’efficacité de ces différentes techniques et le plus souvent les résultats rapportés sont peu consistants. Au-delà des problèmes méthodologiques observés dans un grand nombre d’études ayant exploré l’efficacité de l’une ou l’autre de ces techniques d’intervention, ainsi que du manque de soubassement théorique de beaucoup d’entre elles, il y a selon nous un problème plus fondamental qui est à la base de ces résultats peu convaincants. Nous pensons en effet  que les programmes d’intervention « clé sur porte » (appliqués tels quels à toutes les personnes) ne sont pas à même de répondre au caractère multifactoriel et hétérogène des difficultés des personnes avec une « démence ». Il s’ensuit donc que les interventions visant à aborder les problèmes comportementaux et psychoaffectifs des personnes « démentes » devraient plutôt  privilégier une approche individualisée et flexible, taillée sur mesure en fonctions des caractéristiques spécifiques de chaque personne.

Malheureusement, il existe encore fort peu recherches ayant adopté ce type de démarche individualisée et il apparaît essentiel d’encourager et de financer des études dans cette direction. Il faut relever que l’évaluation de l’efficacité d’interventions psychologiques taillées sur mesure en fonction des difficultés d’une personne nécessite la mise en place de méthodes permettant d’évaluer l’efficacité d’interventions dont le contenu peut différer d’une personne à l’autre (des méthodes clinométriques et en cas unique ; voir notre chronique « L’efficacité clinique de la revalidation cognitive individualisée chez des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

 

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©123rf

Arrighi, H.M., McLaughlin, T., & Leibman, C. (2010). Prevalence and impact of dementia-related functional limitations in the United States, 2001 to 2005. Alzheimer’s Disease and Associated Disorders, 24, 72-78.

Cuijpers, P., van Straten, A., Andersson, G., & van Oppen, P. (2008). Psychotherapy for depression in adults: A meta-analysis of comparative outcome studies. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 76, 909-922.

Fournier, J.C., DeRubeis, R.J., Hollon, S.D., Dimidjan, S., Amsterdam, J.D., Shelton, R.C., & Fawcett, J. (2010). Antidepressant drug effects and depression severity. A patient-level meta-analysis. Journal of the American Medical Association, 6, 47-53.

Kinderman, P. (2005). A psychological model of mental disorder. Harvard Review of Psychiatry, 13, 206-217.

Kirsch, I., Deacon, B.J., Huedo-Medina, T.B., Scoboria, A., Moore, T.J., & Johnson, B.T. (2008). Initial severity and antidepressant benefits: A meta-analysis of data submitted to the Food and Drug Administration. PloS Medicine, 5, e45. 

Lenze, E.J. (2011). Treating depression in older adults with dementia. Editorial. Journal of the American Geriatrics Society, 59, 754-755.

Lyketsos, C.G., Lopez, O., Jones, B., Fitzpatrick, A.L., Breitner, J., & DeKosky, S. (2002). Prevalence of neuropsychiatric symptoms in dementia and mild cognitive impairment. Results from the cardiovascular health study. Journal of the American Medical Association, 288, 1475-1483.

Mulin, E., Leone, E., Dujardin, K., Delliaux, M., Leentjens, A., Nobili, F., Dessi, B. et al. (2011). Diagnostic criteria for apathy in clinical practice. International Journal of Geriatric Psychiatry, 26, 158-165.

Nelson, J.C., & Devanand, D.P. (2011). A systematic review and meta-analysis of placebo-controlled antidepressant studies in people with depression and dementia. Journal of the American Geriatrics Society, 59, 577-585.

Van der Linden, M., & Billieux, J., (2011). Pour une approche multiple, intégrée et empiriquement fondée de l’intervention psychologique: la contribution de la psychopathologie cognitive. In J. Monzée (Ed.), Neurosciences et psychothérapie. Montréal : Liber, sous presse.

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