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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 08:46

Nous avons montré précédemment (voir la chronique « Optimiser le vieillissement cérébral/cognitif… c’est aussi s’engager pour réduire les inégalités sociales ») que le statut socio-économique et la vulnérabilité sociale des personnes âgées étaient associés à un fonctionnement cognitif faible ou à un déclin cognitif.

 

Différents mécanismes, non exclusifs, ont été proposés pour expliquer l’association entre un statut socioéconomique plus élevé tout au long de la vie et un risque moindre de « démence » : la réserve cognitive apportée par des activités mentales plus complexes (scolaires, professionnelles et de loisirs), un style de vie plus sain (réduisant notamment les facteurs de risque vasculaires) ou encore un environnement précoce (intra-utérin et néonatal) plus favorable au développement cérébral et cognitif.

 

Dans une recherche basée sur les données de la « Sao Paulo Ageing & Health Study (SPAH) », Scazufca et al. (2011) ont exploré, auprès d’une population de personnes âgées de Sao Paulo, l’association entre divers indicateurs socio-économiques tout au long de la vie et la « démence », et ce en tentant également d’identifier des pistes causales.

 

Le Brésil est un des pays aux revenus moyens qui connaît un accroissement particulièrement rapide du nombre de personnes âgées. Les personnes âgées actuelles ont vécu des changements socio-économiques très marqués qui ont fait passer ce pays d’une société agraire rurale à une société urbaine diversifiée. Ainsi, la majorité des personnes de plus de 60 ans sont nées dans des zones rurales, mais vivent maintenant dans des centres urbains. L’espérance de vie pour les personnes nées entre 1950 et 1955 était de 51 ans, mais les estimations pour celles nées entre 2000 et 2005 ont grimpé à 71 ans. Par ailleurs, la malnutrition était endémique dans de vastes régions du pays durant la première moitié du 20ème siècle, particulièrement dans les régions rurales. Ainsi, beaucoup de personnes âgées vivant maintenant dans des centres urbains représentent celles qui ont survécu à une mortalité infantile élevée et qui ont enduré une situation socio-économique très difficile tout au long de leur vie, avec pas ou peu de scolarité et des métiers généralement peu qualifiés et peu rétribués. En comparaison aux personnes plus fortunées, elles ont aussi une moins bonne santé, un fonctionnement physique plus mauvais et ont moins accès aux soins de santé. Il s’agit donc d’une population qu’il est important d’étudier afin d’explorer le lien entre des carences socio-économiques précoces et le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique (de « démence »).

 

La recherche de Scazufca et al. a porté sur 2005 participants recrutés dans des secteurs de l’arrondissement de Butanta au sein de la ville de Sao Paulo, qui avaient l’Indice de Développement Humain le plus bas et qui comportaient de nombreuses favelas. Ces personnes étaient âgées de 65 ans et plus (âge moyen : 72.2 ans) : 66.8% étaient nées en région rurale et 32.8% étaient illettrées.

 

Les évaluations ont été menées au domicile des participants. Une personne proche a été identifiée et interrogée sur le fonctionnement cognitif et quotidien de chaque participant. Il lui était également demandé de fournir des informations concernant l’histoire socioéconomique et le tabagisme du participant quand celui-ci ne pouvait pas les donner lui-même du fait de problèmes cognitifs. Les examinateurs (8 professionnels de la santé mentale et une infirmière) recevaient une formation approfondie, d’une durée d’un mois environ, concernant les différents aspects de l’évaluation des participants (évaluation de fonctionnement mental, y compris cognitif ; évaluations physiques et neurologiques). L’infirmière réalisait une évaluation anthropométrique, une mesure de la pression sanguine et une prise de sang, 2 à 15 jours après l’entretien et l’évaluation.

 

L’identification d’une « démence » a été réalisée selon une procédure précédemment validée et incluant une évaluation cognitive, un entretien structuré, une évaluation neurologique structurée, ainsi qu’une évaluation du fonctionnement dans la vie quotidienne, de la santé générale et du déclin cognitif. Par ailleurs, des informations ont été obtenues via des entretiens, un examen physique et un examen sanguin concernant : le statut socio-économique durant l’enfance (alphabétisation, lieu de naissance) et la période adulte (fonction professionnelle la plus élevée, revenu personnel actuel) ; les mesures anthropométriques en tant que marqueurs de l’environnement intra-utérin et infantile (circonférence de la tête, longueur de la jambe); le tabagisme, le diabète et l’hypertension. Un indice global de facteurs socio-économiques défavorables durant la vie (à partir des 6 facteurs suivants : alphabétisation, lieu de naissance, fonction professionnelle la plus élevée, revenu personnel actuel, circonférence de la tête, longueur de la jambe) a également été établi.

 

Les analyses, prenant en compte l’âge et le genre, ont mis évidence que tous les indicateurs de statut socio-économique, durant l’enfance et l’âge adulte, ainsi que les mesures de croissance corporelle, sont associés à un risque accru de « démence ». Par contre, aucune association n’a été observée ici entre le tabagisme, l’hypertension et le diabète et le risque de « démence ». Par ailleurs, l’association entre les facteurs socio-économiques défavorables durant la vie et la « démence » est cumulative : le risque de « démence » augmente régulièrement avec l’accumulation d’éléments défavorables. Plus spécifiquement, les personnes âgées qui ont été exposées à 5 ou 6 facteurs défavorables ont un risque au moins 7 fois plus élevé de développer une « démence » : ce résultat indique que le risque de « démence » est lié à différents facteurs non mutuellement exclusifs.

 

En outre, l’association entre les éléments socio-économiques défavorables durant l’enfance et la « démence » sont médiatisés par les éléments socio-économiques défavorables à l’âge adulte. Ce résultat est probablement relié à la réserve cognitive : l’illettrisme, largement déterminé par la région rurale de naissance et le niveau socio-économique faible des parents, aurait conduit à des métiers non qualifiés, peu rétribués, un faible revenu et, vraisemblablement, à peu d’accès à des activités de loisirs. On constate par ailleurs des associations, indépendantes des facteurs socio-économiques durant l’enfance et la période adulte, entre la circonférence de la tête et la longueur de la jambe et le risque de « démence » : ce résultat est compatible avec l’existence d’un développement cérébral précoce limité contribuant à un moins bon fonctionnement cognitif, et qui, une fois établi, peut difficilement être modifié. Selon les auteurs, la longueur de la jambe pourrait également être associée à un facteur de risque cardiovasculaire.

 

Cette étude n’est pas sans limites. Parmi elles, on peut mentionner une puissance statistique limitée pour certaines associations, ainsi que le caractère transversal de la recherche. Ces éléments pourraient notamment expliquer l’absence d’association entre les facteurs de risque cardiovasculaires (tabagisme, hypertension, diabète) et le risque de « démence ». Plus particulièrement, en ce qui concerne le caractère transversal de l’étude, on peut supposer que les personnes présentant des facteurs de risque vasculaires sont décédées plus rapidement que les autres personnes, ce qui aurait contribué à affaiblir l’association.       

 

Néanmoins, ces données confirment que la prévention du vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence ») doit aussi passer par une lutte contre les inégalités sociales, dès le début de la vie et se poursuivant tout au long de la vie ! 

 

favela.jpg

 

Scazufca, M., Menezes, P.R., Araya, R., Di Rienzo, V.D., Almeida, O.P., Gunnel, D., & Lawlor, D.A. (2008). Risk factors across the life course and dementia in a Brazilian population : results from the Sao Paulo Ageing & Health Study (SPAH). International Journal of Epidemiology, 37, 879-890. 

 

 

 

 

 

 

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