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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 19:35

Comme nous l’avons maintes fois mentionné, les consultations mémoire (ou cliniques mémoire ou encore centres de la mémoire), dont le nombre n’a cessé de croître depuis le milieu des années 1990, constituent une structure pivot de l’approche biomédicale dominante de la « démence » ou, plus spécifiquement, de la « maladie d’Alzheimer ». Depuis peu, on a vu apparaître, dans certaines de ces structures, une activité de diagnostic, visant à repérer, au moyen de biomarqueurs, des personnes présentant une « maladie d’Alzheimer » à un stade précoce, voire même « préclinique » (soit sans symptômes objectifs).

Il en va ainsi du nouveau Centre de la Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui a vu le jour en juin 2016, en remplacement de la Consultation de la Mémoire (voir la page 6 du numéro d’octobre-novembre-décembre 2016 du magazine « Pulsations » des HUG). En résumé, l’objectif principal et explicite de ce centre est de dépister précocement la « maladie d’Alzheimer », en partant du principe que plus les traitements débutent tôt, plus ils seraient efficaces. La prise en charge proposée comporte les éléments suivants :

* un recueil minutieux de l’histoire des troubles cognitifs, et des tests neuropsychologiques ;

* un examen d’imagerie à résonance magnétique (IRM) à haute définition afin de visualiser la diminution de la taille de l’hippocampe ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET) afin d’évaluer les zones du cerveau présentant une baisse d’activité ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET amyloïde) afin d’identifier les dépôts de protéines toxiques amyloïde ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET tau) afin d’identifier les dépôts de protéine toxiques tau ;

* une ponction lombaire dans le but de déterminer la concentration des protéines amyloïde et tau.

Il faut noter que, n’étant pas remboursés par les assurances maladie, les examens PET amyloïde et tau seront « offerts » grâce à des fonds de recherche.... Néanmoins, le coût global des autres examens conduira à une facture importante – de plusieurs milliers de francs pour chaque cas – pour les assurances maladie.

Dans l’article de Pulsations, il est également mentionné que ce centre proposera les médicaments de « dernière génération »...., ainsi que la formation des médecins de ville, et offrira une approche non pharmacologique (des programmes de réhabilitation), dont le contenu n’est pas précisé, mais qui visera, selon le Pr. Frisoni, responsable du centre, « … à travailler sur la résilience, la capacité du cerveau à mobiliser des ressources nerveuses pour contrer la progression de la maladie ». Le Pr. Frisoni ajoute qu’ «.. il faudra former les médecins à annoncer un diagnostic précoce de manière informative et respectueuse de l’émotion du patient et de ses proches ».

Ces différentes annonces laissent donc à penser :

- qu’il existe des techniques de diagnostic précoce valides et fiables,

- qu’il y a ou aura des médicaments efficaces (et qui seront d’autant plus efficaces qu’ils seront pris précocement) et, enfin,

- qu’on peut mobiliser des ressources nerveuses, via la réhabilitation, pour contrer la progression de la maladie.

Or, ces constats ne reposent sur aucun fait établi par les recherches scientifiques !

D’ailleurs, quatre spécialistes des domaines de la gériatrie, de l’épidémiologie et de la santé publique ont clairement mis en question les politiques publiques incitant à un dépistage précoce de la « démence », en indiquant en quoi ces incitations ne reposaient pas sur des données empiriques probantes et ignoraient les méfaits pouvant y être associés (Le Couteur, Doust, Creasey, & Brayne, 2013 ; voir notre chronique « La détection précoce de la "démence" : Halte à la médicalisation du vieillissement ! »). Ils mettent ainsi en avant les différents problèmes liés à l’expansion des consultations-mémoire, à l’adoption du concept catégoriel de « MCI » (« Mild Cognitive Impairment » ou Trouble Cognitif Léger), ainsi qu’à l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie à des fins de diagnostic précoce de la « maladie d’Alzheimer » (à plus forte raison préclinique ou asymptomatique). Par ailleurs, ils indiquent en quoi le recours au concept de « MCI » ou aux biomarqueurs ne peut pas se justifier en invoquant la possibilité offerte aux personnes âgées de planifier leur futur en connaissance de cause, ni en considérant les bénéfices que pourraient tirer ces personnes d’un traitement. Enfin, ils relèvent les risques, effets négatifs et coûts financiers du dépistage et diagnostic précoces, les intérêts économiques et commerciaux considérables qui y sont associés et aussi le fait que les ressources qui y sont consacrées sont autant de ressources qui ne seront pas disponibles pour l’amélioration des soins et de la qualité de vie des personnes présentant une « démence » avancée.

En fait, la démarche adoptée par le Centre de la Mémoire des HUG s’inscrit pleinement dans l’approche biomédicale dominante, qui néglige l’extrême complexité du vieillissement cérébral et cognitif, à savoir les multiples facteurs et mécanismes qui sont impliqués (tout au long de la vie) dans la survenue d’un vieillissement problématique, ainsi que la diversité extrême de ses manifestations et de son évolution, et qui pathologise et stigmatise de plus en plus les personnes âgées  (voir notre article à paraître dans la revue Dementia,  Van der Linden & Juillerat, 2017 ; lien).

L’efficacité diagnostique des biomarqueurs et de l’examen neuropsychologique ?

Comme le relèvent Le Couteur et collaborateurs (2013), il n’existe pas d’étude menée sur une vaste population ayant montré que l’association entre des marqueurs biologiques et la «démence » (ou les anomalies neuropathologiques sous-jacentes) est suffisamment robuste pour justifier leur utilisation dans la pratique clinique.

En fait, il apparaît que les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » présentent très fréquemment plusieurs caractéristiques neuropathologiques, non seulement des plaques séniles (protéine amyloïde) et des dégénérescences neurofibrillaires (protéine tau), mais aussi des corps de Lewy, la protéine TDP-43, une sclérose hippocampique, diverses anomalies vasculaires, etc..

Par ailleurs, les protéines considérées comme étant « anormales » et impliquées dans différents types de « démences » (protéine tau, protéine amyloïde, protéine TDP-43, alpha-synucléine) sont très fréquemment observées chez des personnes âgées ne présentant pas de troubles cognitifs ou de « démence » (pour une étude récente, voir, p. ex., Elobeid et al., 2016).

En outre, plusieurs chercheurs, tels que Castellani et Perry (2012 ; voir également Drachman, 2014), contestent l’approche moléculaire dominante de la « maladie d’Alzheimer » selon laquelle certains mécanismes moléculaires spécifiques (tels que la cascade amyloïde ou la phosphorylation de la protéine tau) constitueraient les facteurs causaux de la maladie d’Alzheimer. Castellani et Perry suggèrent plutôt aux chercheurs et cliniciens de prendre davantage au sérieux l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif ou une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet.

Il faut également relever que les personnes ayant reçu un diagnostic de "maladie d'Alzheimer" montrent des patterns d'atrophie cérébrale très variés, pouvant ne pas affecter les régions hippocampiques  (voir notamment Noh et al., 2014). En outre, le vieillissement dit normal s'accompagne de modifications cérébrales dans les mêmes régions que celles où l'on observe des changements - quoique plus marqués - chez les personnes ayant reçu le diagnostic de "maladie d'Alzheimer" (Fjell et al., 2014).

Notons enfin que l’importante hétérogénéité des symptômes cognitifs et socio-émotionnels des « maladies neurodégénératives » (voir Scheltens et al., 2016, concernant l'hétérogénéité symptomatique de la "maladie d'Alzheimer") et les recouvrements observés entre les différents types de « maladies » rendent globalement peu pertinente l’utilisation de l’examen neuropsychologique à des fins de diagnostic différentiel, à savoir repérer les signes cognitifs distinctifs de ces « maladies », ou dans une fonction prédictive, c.-à-d. prédire l’évolution des difficultés cognitives.

L’efficacité des médicaments ?

Il apparait clairement que les médicaments « anti-Alzheimer » existants (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®) ne sont pas efficaces, même quand ils sont administrés chez des personnes considérées comme étant à un stade précoce de la « maladie d’Alzheimer », en particulier des personnes ayant reçu un diagnostic de  MCI  ((voir nos chroniques « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments «anti-Alzheimer ?  » et « Le courage politique de s’opposer à l’empire Alzheimer et de changer d’approche ! » ; voir également Tricco et al., 2013). De plus, ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires, parfois graves.

Par ailleurs, au vu de la complexité et de l’hétérogénéité des mécanismes impliqués dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique,  il paraît complètement illusoire de penser qu’on découvrira le «médicament miracle » qui empêchera le développement de la « maladie d’Alzheimer » ou qui entravera son évolution. Au contraire, l’objectif devrait être de diversifier et d’individualiser les interventions et traitements. On en est loin et cela nécessitera un changement profond dans l’approche neurobiologique du vieillissement cérébral et cognitif, avec la mise en place de recherches guidées par une perspective systémique, conduisant au développement de modèles dynamiques et interactifs des processus impliqués dans la progression du déclin cognitif chez la personne âgée.

Un objectif plus immédiat devrait être de protéger les neurones âgés et de cibler les facteurs de risque (et les événements initiateurs) environnementaux et de style de vie. Il importe dès lors de prendre clairement le tournant de la prévention, et ce, par des interventions préventives ciblant différents facteurs de risque dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques vieillissement cérébral et cognitif. Parmi ces facteurs, on peut mentionner le fait de pratiquer davantage d’activité physique, d’accroître l’activité cognitive stimulante, de contrôler les facteurs de risque vasculaires (en particulier, l’hypertension), de prévenir l’hyperlipidémie, le diabète, l’obésité et la dépression (tout particulièrement, durant la quarantaine / cinquantaine), de réduire le tabagisme,  etc. (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014b ; Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2017).

En parallèle, il s’agirait également de proposer aux personnes présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique des interventions psychologiques et psychosociales individualisées, axées sur des buts et problèmes spécifiques pertinents dans la vie quotidienne et visant à accroître leur qualité de vie et leur bien-être.

L’efficacité de la réhabilitation cognitive ?

A ce jour, il n’existe aucune étude ayant démontré que la stimulation cognitive ou des programmes généraux d’entraînement cognitif peuvent avoir des effets bénéfiques sur l’évolution des problèmes cognitifs dans la vie quotidienne des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou de MCI (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016). En outre, on connaît encore très peu de choses sur les capacités compensatoires (la plasticité cérébrale et cognitive) des personnes âgées et sur les facteurs qui modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles.

Par contre, un nombre croissant d’études a mis en évidence l’intérêt d’une approche psychologique individualisée, dans laquelle des buts pertinents pour la personne, en lien avec sa vie quotidienne, sont identifiés, et où l’intervenant élabore avec la personne et ses proches des stratégies visant spécifiquement à atteindre ces buts en exploitant les capacités préservées de la personne, les facteurs d’optimisation et les moyens d’aide externe (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016).

Dans cette perspective, une étude randomisée multicentrique (ETNA3, impliquant 50 sites cliniques en France et 653 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ») a évalué l’efficacité de trois types d’intervention psychologique : la réminiscence, l’entraînement cognitif en groupe et les interventions cognitives personnalisées (Amieva et al., 2016). Dans le programme d’interventions personnalisées (en séances individuelles), il s’agissait tout d’abord de sélectionner avec la personne présentant une démence et un proche des activités signifiantes (de la vie quotidienne ou de loisirs) à optimiser et, ensuite, d’adapter les interventions en fonction des difficultés spécifiques rencontrées par la personne dans la réalisation de ces activités  (avec, p. ex., l’utilisation d’un apprentissage sans erreur). Les résultats ont montré que les interventions « réminiscence » et « entraînement cognitif en groupe» n’ont eu aucun effet bénéfique, en comparaison au « traitement habituel », sur diverses mesures de suivi à 3 et 24 mois (institutionnalisation, détérioration cognitive, statut fonctionnel, symptômes comportementaux, apathie, dépression, qualité de vie, charge pour le proche, utilisation des ressources de soins informels). Seules les « interventions cognitives individualisées » ont conduit à un effet bénéfique significatif à 24 mois sur les capacités fonctionnelles (moins de déclin fonctionnel que dans les trois autres conditions), un effet bénéfique tendanciel (à 24 mois) sur les symptômes comportementaux, un effet bénéfique significatif (à 3 mois) et tendanciel (à 24 mois) pour la charge perçue par le conjoint, un effet tendanciel (24 mois) pour l’utilisation des ressources, et un taux plus bas d’institutionnalisation.

Il faut relever que, dans cette étude, les objectifs des interventions individualisées se limitaient à rendre les personnes avec une démence plus aptes à réaliser certaines activités de la vie quotidienne ou de loisirs, et n’abordaient apparemment pas l’ensemble des dimensions (stigmatisation, estime de soi,  facteurs de stress, sentiment de contrôle, rôle familial et social, etc.) du vécu négatif et des difficultés de ces personnes. Or, il apparaît également essentiel d’envisager des objectifs d’intervention plus directement en lien avec les dimensions d’identité, de qualité de vie et de bien-être. De plus, des actions devraient aussi être entreprises à un niveau social et politique (dans différents domaines : environnement de vie, structures sociales, politiques sociale et de la santé), afin de favoriser l’engagement social des personnes âgées, les relations interpersonnelles – en particulier intergénérationnelles –, l’accès pour tous aux mesures de prévention et aux moyens d’aide, la réduction de l’isolement et de la pauvreté, etc.  

La mise en place de mesures (psychologiques, psychosociales et de prévention), visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, doit passer par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Cela suppose la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleurs/euses sociaux/ales, des infirmiers/infirmières, des médiateurs/trices culturel-le-s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre).

Dans ce contexte,  l’évaluation (neuro)psychologique aura les objectifs suivants : identifier l’apparition de difficultés cognitives, socio-émotionnelles et fonctionnelles chez la personne âgée, en comprendre la nature (dans une perspective multifactorielle et individualisée) et en suivre l’évolution ; explorer le vécu des personnes âgées (et de leurs proches) face à leurs difficultés ; déterminer (avec la personnes âgée et ses proches) des buts spécifiques et concrets  d’intervention psychologique et psychosociale ; déterminer des facteurs de risque pouvant faire l’objet de mesures de prévention (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014a).

Résistons à l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif !

L’approche de plus en plus neurobiologisante et réductionniste du vieillissement cérébral et cognitif est inquiétante et nous sommes à la croisée des chemins !

Va-t-on continuer à faire croire à la population que le vieillissement cérébral et cognitif problématique est le reflet de « maladies » (comme la « maladie d’Alzheimer ») ayant chacune une cause spécifique et, qu’un jour, le médicament ou traitement médical « miracle » sera découvert (dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ou 100 ans) ? Ce serait grave, car cette approche a de nombreuses conséquences néfastes. D’abord, elle extrait les manifestations de la démence du cadre général du vieillissement cérébral et cognitif. Ce faisant, elle contribue à la médicalisation et à la pathologisation du vieillissement et en propage une vision réductrice. Elle suscite également l’attente désespérée d’un traitement médicamenteux ou biologique miracle, mettant ainsi à l’arrière-plan l’ensemble des démarches susceptibles d’optimiser le bien-être, la qualité de vie, le sentiment d’identité, et ce, tant chez la personne démente que chez les proches aidants. En outre, elle favorise une vision du vieillissement en termes de fardeau et de crise, aux plans social et économique. Enfin, elle enferme les personnes âgées présentant des troubles cognitifs dans des étiquettes stigmatisantes et associées à des images apocalyptiques.

Ou va-t-on au contraire – enfin – présenter à la population un autre récit, qui assume la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique et qui réintègre ses diverses manifestations dans le contexte plus large du vieillissement ? Un récit qui met en avant que le vieillissement cérébral et cognitif fait partie de l’aventure humaine et qu’il s’accompagne inévitablement de difficultés cognitives (d’attention, de mémoire, etc.) et fonctionnelles qui, dans le grand âge, affectent, de façon importante, de nombreuses personnes. Un récit qui indique également que l’importance des problèmes cognitifs et fonctionnels liés au vieillissement varie considérablement d’une personne âgée à l’autre (ils sont plus légers et n’évoluent que très lentement chez certaines personnes, alors que, chez d’autres, ils sont plus graves et évoluent très rapidement), mais que cette évolution plus ou moins problématique du vieillissement cognitif et fonctionnel dépend de très nombreux facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, liés au style de vie, sociaux, culturels, et environnementaux), en interaction et agissant à tous les âges de la vie, et de nombreux mécanismes (vasculaires, neuro-inflammation, stress, anomalies de la connectivité/activité neuronale, etc.). Un récit qui met en avant l'existence de capacités préservées. Un récit disant qu'on peut encore bien vivre avec des difficultés cognitives, qu'on peut garder une vitalité et un sens à son existence et qu'on peut avoir une place et un rôle dans la société. Un récit qui dira aussi qu'il existe des démarches simples susceptibles d'atténuer  l'impact des difficultés cognitives et fonctionnelles, qu'une de ces démarches est de rester partie prenante dans la société et aussi de continuer à s'engager utilement en fonction de ses moyens, mais aussi que des interventions psychologiques et psychosociales peuvent aider à avoir une meilleure qualité de vie et un meilleur bien-être.

 Il ne s’agit donc en aucun cas de nier l’existence des problèmes cognitifs et fonctionnels pouvant affecter de manière importante les personnes âgées, mais d’en assumer pleinement la complexité et les nuances, tout en considérant que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif. Cela devrait contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et à mettre en place des structures sociales dans lesquelles les personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, peuvent trouver des buts, avoir un rôle social valorisant, maintenir des relations intergénérationnelles, etc. En ce sens, la « démence » devrait être considérée comme une expérience de vie, qui peut amener des changements dans la perception que la personne a du monde, mais durant laquelle des apprentissages sont possibles, un potentiel de développement personnel existe, et où il s’agit de maintenir le bien-être et l’autonomie par des aides et un environnement individualisés, ainsi que des « partenaires de soin » plutôt que des soignants, qui donnent aux personnes et à leur entourage les outils et le soutien pour faire face aux difficultés rencontrées. En d’autres termes, il s’agit de concevoir une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d’amener les membres de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté : une société qui serait d’ailleurs bénéfique à chacun d’entre nous, quel que soit notre âge !

Il ne s’agit pas non plus de rejeter la recherche neurobiologique, mais de soutenir une recherche qui s’affranchit de l’approche réductionniste basée sur l’exploration de cascades de petites molécules pour explorer d’autres hypothèses, impliquant en particulier des interactions entre diverses combinaisons de mécanismes neurobiologiques. Cette recherche devrait également considérer le vieillissement cérébral/cognitif en termes de continuum et non plus sur base de catégories de maladies (Walhovd, Fjell, & Epseseth, 2014) et tenter d’identifier, de façon plus précise, les différents facteurs (biologiques, médicaux. psychologiques, sociaux, environnementaux), ainsi que leurs relations, impliqués dans la survenue, plus ou moins progressive et rapide, de déficits affectant certains domaines cognitifs, variables selon les personnes.

On peut espérer que, prenant en compte les arguments susmentionnés, les personnes âgées résisteront à l’approche biomédicale réductrice et trompeuse, qui ne leur apportera aucun bénéfice (tout en ayant un coût financier important), mais qui, au contraire, les enfermera dans un diagnostic de maladie présentée comme « apocalyptique », ce qui contribuera encore davantage à les isoler, à les stigmatiser et dès lors, à accroître leurs difficultés, sans leur donner, ni à leur entourage, de véritables moyens pour y faire face.

Dans ce contexte, nous pensons qu’un grand débat citoyen, impliquant au premier chef les personnes âgées, devrait être organisé, sur les enjeux scientifiques, sociétaux et éthiques des différentes approches du vieillissement cérébral et cognitif.

© istockphoto.com/baranozdemir

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